Ses voisins bourguignons étaient étonnants, Isidore devait le reconnaître. Cependant, il réservait encore son opinion sur leur potentiel caractère intéressant. Ou leur santé mentale.
À l’arrivée de l’avocat dans la cuisine, aux meubles spartiates, des Lécapène, un autre homme – géniteur de la petite carotte d’après ses yeux émeraude et sa chevelure rousse – sortit du salon pour accueillir l’invité. Un torchon qui sentait la térébenthine à la main, Gilles se présenta d'une voix amicale. Il s’excusa en offrant uniquement son poignet à serrer, plutôt qu’être surpris par l'intrusion d’un inconnu dans sa demeure. Tom expliqua à demi-mot que Léna avait improvisé un repas en famille avec Cédric. Un parfait étranger qui n’avait la qualité de voisin que sur le papier. Sans avoir prononcé ces derniers mots, Tom le pensait très fort. Tout comme Isidore. Inconscient des regards de défi échangés entre son frère et son voisin, Gilles sourit à ce dernier : « Bienvenue à la maison ! »
Le Parisien habitait généralement dans un immeuble des beaux quartiers qui employait un gardien. Les visiteurs étaient filtrés par deux interphones à code. Son quatre pièces lumineux – décoré par un professionnel, et beaucoup trop grand pour un célibataire qui passait en moyenne quatre-vingts heures par semaine au bureau – était confortablement caché derrière une porte blindée, qui aurait résisté à un missile, fermée en cinq points. Comme certains coffres-forts. Une telle hospitalité innocente et cette confiance envers un total inconnu étaient bien loin de ce que l’esprit retors de l’avocat était capable d’analyser. Au moins Tom, lui, semblait contrarié par son arrivée. En se raccrochant à cet antagonisme, Isidore put admettre qu’il n’était pas tombé dans un traquenard. Parmi cette déferlante de bienveillance, seul le regard noisette lançait des signaux d’hostilité envers lui. Dieu merci, ça, c’était normal !
« Merci de me recevoir, résuma poliment l’invité.
— Oh, je vois que vous connaissez tout le monde, maintenant ! lança une voix énergique derrière Isidore. Ne reste plus qu’à me présenter ! »
Tom avait déjà mentionné à l'invité le prénom de la maîtresse de maison. Mais Léna tenait à bien faire les choses. Sa boîte d’invendus à la main, la jeune femme accourut auprès de son époux et, avec un sourire totalement premier degré, dit : « Nous sommes Gilles et Gillette. Bienvenue !
— La perfection au féminin, ajouta le mari de Gillette, avec un regard amoureux vers sa femme, en déposant un baiser sur sa joue.
— La blague est éventée, les tourtereaux. » intervint Tom avec placidité, tandis que l’invité retenait un mouvement de recul face au duo.
La bouée de normalité d'Isidore se tourna vers lui. Au lieu d'un regard contrarié, le meilleur ami de l'hurluberlu féminin offrit au Parisien un peu de compassion en expliquant : « Léna est toujours comme ça. Ne faites pas attention à son humour, il ne s’améliorera pas avec le temps. » Du coin de l'œil, Isidore vit la digne mère de famille tirer la langue vers Tom – la vengeance de la jeune femme pour les récentes paroles de son beau-frère. Ce dernier continua : « Si elle vous aime bien, elle se permettra même des blagues de matheux. Elle est chimiste de formation. »
Comme si la dernière remarque expliquait tout, ce beau monde partit se laver les mains, puis s'installa autour d'une grande table dans le salon. Assise à côté de lui, Maé s’adressa à Isidore d'une voix fluette : « J’ai jamais compris pourquoi Maman parle d'une blague rasoir. Tu peux m’expliquer, toi ? »
L’avocat ressentit une impérieuse bouffée de tendresse pour la petite carotte. Il conseilla sagement : « Il n’est pas nécessaire de tout comprendre dans la vie. Et parfois, même lorsque tu sais quelque chose, il est préférable pour ta santé mentale de faire semblant du contraire. »
Maé fixa l’adulte avec gravité et vexation : « Ça fait beaucoup de jolis mots, juste pour pas me répondre ! »
L'humeur de l’enfant s’améliora instantanément quand sa mère déposa une demi-tranche de jambon dans son assiette de quinoa et légumes verts. Son père se contenta d'une portion d'omelette, avec le même accompagnement en double ration. Tom piocha allègrement dans tout ce qui était disponible au centre de la table, entre restes des invendus, mélanges de légumes, tranches de jambon rôti, et la grande omelette aux champignons que le rouquin finissait de préparer quand l’invité surprise avait débarqué dans la cuisine.
« Servez-vous, Cédric. Je ne sais pas trop ce que vous préférez, alors il y a le choix. Évitez les tartes salées, elles datent de deux jours, je les mangerai. »
Il avait pourtant repéré un morceau de quiche au fromage qui lui faisait de l’œil ! Deux jours, ce n’était rien ! Mais la matriarche venait de parler, alors l’avocat préféra éviter de la contredire. Déçu, il se rabattit sur une portion de chacun des autres plats. Tout était simple et bon. Isidore était, lui aussi, simple. À sa manière. Dans cet environnement étranger et familier, le brun se détendit. Il esquissa des sourires sincères, et pas seulement polis, en répondant à ses hôtes, en parlant avec leur fillette. À cette vision, Tom sentit son agacement devenir moins palpable. Tout le monde méritait une deuxième chance. Même les plus gâtés par la vie.
NDA : Une vidéo est disponible en media en haut de cette page, pour comprendre la blague de Léna. Je vous présente mes excuses pour le comportement de mes personnages. Même à moi, ils font honte.
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Éclosion
Roman d'amourAvocat expérimenté, Isidore est un homme de la ville, allergique au milieu rural depuis son coming-out. La campagne lui donne littéralement des boutons. Or, d'une vieille tante avec qui le contact semblait rompu, il a hérité une maison située en Bou...