10 - Mon ami Pierrot (lettres à Lilibel)

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15 avril 1963

Lili,

Nous nous connaissons depuis si longtemps. J’ai très peur de ce que tu me diras demain à l'école. Je crains plus encore ton silence. Ce message, je vais te le donner juste avant la sortie des classes. Et je partirai en courant. Parce que je n'ose pas te dire ces mots en face. Parce que j’ai trop peur de ta réponse aujourd’hui. Demain, j’aurai plus de courage.

S'il te plaît, ne me déteste pas. S’il te plaît, ne sois pas dégoûtée. Je t’aime. Tu le sais, je te l’ai déjà dit, mais depuis quelques temps, c’est devenu différent… S’il te plaît, même si tu ne m'aimes pas comme je t’aime, s'il te plaît, reste mon amie.

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16 avril 1964

Ma belle Lili,

Me voici de force chez mes grands-parents, car la famille voulait se rassembler autour du seul poste de télévision pour écouter le Président. Quel ennui ! Je n'y comprends rien. Honnêtement, je n'y vois aucun intérêt. Toute mon attention se tourne en direction de ta maison. Je ne peux même pas venir te voir aujourd’hui, quel désespoir ! J’aurais voulu te souhaiter bon anniversaire. Tu es mon amoureuse depuis un an, quelle joie ! J’ai hâte de te donner ce mot et mon cadeau demain !

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2 juin 1968

Lili, petite lune chérie,

Étrangement, loin de toi, je me souviens en boucle de cette berceuse que nous chantions dans les prés. Nous étions enfants, il n'y a pas si longtemps. Une éternité. Tu es ma lune, ma chandelle, tu éclaires mon chemin. Chaque plume que je possède semble servir uniquement à t’écrire des mots, au lieu de rédiger mes devoirs !

Ma première année d’université a fini de façon prématurée. Les événements des dernières semaines, tu en as entendu parler. Même depuis notre petit village à l’esprit étriqué, tu as dû sentir le grondement qui a marqué notre pays. Malgré moi, j'y ai un peu participé, en suivant la lancée de camarades de classe. Épouvantés, nos bourgeois de parents nous ont entraînés, mon frère et moi, en vacances forcées, pour m’éloigner de cet environnement. À mon retour le mois prochain, je t'en parlerai plus en détails. Mais uniquement après t'avoir embrassée ! Longuement, en cachette, je baiserai tes lèvres et tes mains. Puis je te raconterai tout ce dont je me souviens, tout ce que je n'oublierai jamais. Tourbillon d'exaltation, révolution ou illusion ? Certains à Dijon n'en voulaient pas. De mon côté, je ne sais pas bien en quoi croire, quoi vouloir. À part toi, ma Lili. Tu es tout ce que je veux, tout ce que je voudrai jamais.

J’espère que cette lettre te parviendra sans problème. Je n’ai même pas pu revenir te voir une seule journée depuis les dernières vacances. Tu me manques atrocement ! À bientôt, ma petite lune.

Pierrot.

ÉclosionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant