22 - Jouer avec le feu

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« Ash, help! chouina Isidore face à son téléphone en mode haut-parleur.

— Hi Cédric, répondit calmement une voix féminine. Je vais bien, thanks, et toi ?

— Sorry… Pas le temps de discuter, c’est la merde ! Help!

— Tu es toujours coincé dans ta campagne ?

— Oui ! La voiture devait être réparée hier soir… Je viens d’engueuler le garage : leurs fournisseurs sont en retard, alors eux aussi ! Je dois être à Paris cet après-midi !

— I know. Je n’osais pas te mettre la pression à ce sujet...

— Help! couina le digne homme.

— Oui, on a compris le concept. Tu te répètes, là. Je t’avais réservé une place de TGV, modifiable, remboursable, pour aujourd’hui, just in case. Je vais confirmer l’horaire et t’envoyer le billet sur ton mobile. Cause I guess you can't print it out? »

Un silence éloquent répondit à la jeune femme, qui continua son laïus pendant que son patron se grattait nerveusement la nuque et l’épaule.

« It's a little late pour le train de 9h… Cédric, il est très important que tu prennes le TGV de 13h. Le suivant ne passe que le soir, et les trains de l’après-midi sont trop lents. Ils te feraient arriver trop tard au tribunal. »

La pression supplémentaire déclencha d’autres réactions cutanées chez Isidore.

« On fait comment pour le trajet vers la gare ? demanda-t-il avec tout le sang-froid qu'il lui restait.

— That's a little tricky… Le plus simple dans cette région, c’est la voiture, I suppose. Je vais essayer de trouver un taxi à Dijon qui accepte de venir te chercher dans ton coin paum… I mean, à domicile. But we can't be sure, so… je te recommande de prévoir un plan B. Ou plutôt C, puisque le TGV, c’était le plan B. Don't worry, il te reste plus de trois heures pour trouver un véhicule de remplacement. We'll work it out. Rappelle le garage et exige le prêt d'une voiture pour le retard.

— Euh… j’ai déjà accepté leur deal pour une réduction importante et un détachage gratuit de mon siège passager.

— Why did you do that? fit la voix sereine qui semblait juger Isidore.

— C’était un prix vraiment intéressant !

— Soit tu acceptes de passer pour un idiot et tu rappelles le garagiste. Soit tu trouves un plan D. De mon côté, je vais chercher un taxi. Je te tiendrai informé. Bye! »

Isidore détestait le calme irréel de son assistante. Tout en même temps, il ne pouvait s'en passer. Appeler Ashley à l'aide – et il le faisait souvent – c’était s'exposer à la prise de conscience de sa propre inaptitude à penser aux questions futiles du quotidien. Par exemple, des vêtements propres pour son séjour imposé au vert, ou une échappatoire improvisée à sa prison campagnarde. Il accepta de passer pour un idiot et rappela le garagiste retardataire. Qui lui présenta de plates excuses car leur établissement ne possédait aucune voiture de prêt.

« Plan D » marmonna l’avocat en se dirigeant vers la maison voisine. Au milieu de son allée, pendant qu'il se grattait le torse, il s’aperçut d'une donnée qui le figea sur place. Depuis son arrivée dans ce village, il interagissait un peu trop régulièrement avec les Lécapène. La veille, par exemple, lors d'un moment d'égarement, il avait à nouveau accepté la proposition indécente de la mère de la petite carotte : un délicieux repas maison à moindre coût. Puis, d’humeur taquine après le dîner, il avait encore joué avec les nerfs de l'oncle de Maé.

Les réactions de Tom amusaient Cédric, habitué à manipuler les parties adverses. Isidore quant à lui n’avait pas encore décidé s'il participerait à l’équation complexe découlant d'une relation sexuelle ou amoureuse. D’autant que la dernière possibilité, au vu de leurs régions respectives, serait à gérer à distance. La situation deviendrait trop compliquée. Les sentiments, contrairement à l'argent, impliquaient des liens. Les liens, contrairement aux contrats, se rompaient parfois sans avertissement. Cette période de deuil, déjà suffisamment lourde à supporter, n'incitait pas à l’ouverture.

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