27 - Incubation

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Peu avant l’heure du goûter ce jour-là, malgré la demande de visite en tête-à-tête émise par Isidore la veille, un trio étrangement bien assorti – deux hommes et une carotte – se promenait parmi les volailles en liberté. Impressionné par cette population aviaire, le citadin allergique montrait moins de signe d’agitation qu'il ne le craignait. En premier lieu, la superficie du jardin arrière le sauvait de ses phobies : elle était plus que suffisante pour permettre aux humains de circuler sans croiser de trop près les chemins de la cinquantaine de poules. En second lieu, la présence de Tom à ses côtés semblait apaiser ses crises d'urticaire. Isidore espéra que cette accalmie durerait, le temps pour lui de profiter de ses congés et finir de débarrasser la maison héritée. Traîner avec son voisin pendant les vacances était aussi une activité très plaisante. Trois jours auparavant, il n'aurait jamais cru une telle situation possible !

Le campagnard commentait de temps à autres le fonctionnement de la ferme, l’alimentation des bêtes, ou leur cycle de reproduction. Comme une illustration aux paroles de l’un de ses éleveurs, un coq, perché sur une clôture au loin, surveillait son harem. Une magnifique crête rouge sur un corps aux plumes immaculées, un port de tête adapté au stéréotype qu'il représentait ; le coq des Lécapène semblait fier de sa basse-cour.

En imaginant les dangereux ergots se planter dans sa chair, Isidore frissonna. Inconsciemment, il se rapprocha de Tom qui marchait à sa gauche.

« Ulunn est plus docile qu'il n'en a l'air, le rassura le rouquin d'une voix douce. La seule fois où il s’est montré menaçant, c’est quand Gilles a donné un coup de pied à Gally par mégarde.

— Ulunn ?

— Une idée de Léna pour nommer le coq, marmonna Tom en détournant la tête d'embarras.

— Hein ?

— Ça veut dire « monstre » ou « laideur », intervint Maé, en bas à droite d'Isidore.

— Je le sais bien, mais pourquoi votre coq porte-t-il un nom ironique en sindarin ? »

Alors qu’il ne buvait rien, Tom s’étouffa et toussa comme un asthmatique. Le trio s’arrêta. « Tom, ça va ? »

Penché, mains calées sur le haut de ses cuisses, incapable de répondre au Parisien, le pauvre homme continua à tousser. Avec l'effort fourni, les larmes lui montèrent aux yeux. Dieu tout puissant, protégez-moi ! implora-t-il en pensée. Cédric est un gros geek comme Léna ! L’étrange prière sembla calmer son désarroi. Il parvient à articuler, un sourire forcé sur son visage rougi : « Tout va bien, allons voir les futurs poussins !

— Ouais ! s’écria la petite carotte en sautillant.

— D'accord… » fit sobrement Isidore, son regard perplexe tourné vers l’étrange voisin.

À mi-distance entre la maison et le grand poulailler qui était installé au fond du jardin, se trouvait un atelier bien isolé des courants d'air. À l’intérieur, sur une table en bois, un incubateur électrique ronronnait. En son sein dormaient une dizaine d’œufs, de couleurs différentes : blanc, vert pâle, brun clair, et le classique beige. En entrant dans la nurserie aviaire, Tom commenta, à l’attention de son visiteur privilégié :

« Nassée est une excellente couveuse. Quelques unes de nos retraitées ont également conservé leur instinct maternel… mais parfois, en hiver, ou lorsqu’il y a beaucoup d'œufs fécondés, cette machine prend le relais. Nous proposons peu de poussins à l’adoption pour les visiteurs de la boutique. Généralement, quelques semaines après leur éclosion, nous les donnons aux voisins des fermes du coin, en échange de leurs produits, ou de menus services. Nous vérifions bien entendu qu'ils seront bien traités par les futurs propriétaires ! Qu'un poussin soit destiné à la ponte, à la reproduction, ou à être mangé, l’important est que sa vie se passe dans des bonnes conditions ! Nous n’essayons pas de convertir les foules, uniquement de changer les mentalités, petit à petit. D’apporter une pierre à l’édifice ! »

Pendant que Maé s’amusait à marcher d'un pas militaire, en long et en large derrière lui, Isidore semblait plongé dans d'intenses réflexions en fixant la couveuse. Tom se réjouit de l’impact de son discours sur son public. Quelques secondes de silence ronronnant plus tard, la première chose que l’avocat répliqua au touchant exposé de l’éleveur à propos des poussins, fut : « L'une de vos poules est nommée Gally. Et une autre Nassée. Laissez-moi deviner : Léna est à l’origine de ce mauvais calembour ? » Face au sourire innocent de son voisin, le rouquin capitula. Il fallait accepter Cédric tel qu’il était.

« Oui, répondit sobrement Tom.

— On peut avoir du flan caramel pour le goûter ? intervint sa nièce.

— Bonne idée ! approuva Isidore.

— Demande à ta mère, ma puce. »

Maé laissa les adultes entre eux et partit à toute allure vers la maison. Elle y entra en trombe. Quand elle envoya valser la porte de la cuisine contre le mur, elle s’attendit à des remontrances de sa mère. Au lieu de ça, Léna détourna la tête à l’arrivée de sa fille. Juste à côté d'elle, son mari adressa un sourire triste à leur enfant. Après avoir passé un avant-bras sur son visage, la jeune femme se retourna enfin vers Maé. La petite en oublia sa première requête. Elle demanda : « Pourquoi tu pleures, Maman ?

— Il n'y a rien de grave, ma chérie. Nous allons arranger la situation, ton père et moi.

— Tu mens pas, hein ?

— Maëlle, nous ne te mentirons jamais. »

Les parents de Maé ne l'appelaient par son prénom entier que lors de circonstances sérieuses qui les incitaient à être sincères, plutôt que protecteurs, vis-à-vis de leur enfant. La petite carotte fut soulagée : ses parents ne lui mentaient pas. Elle fut également un peu effrayée : des moments difficiles seraient à prévoir. Mais les adultes règleraient le problème. À sept ans, il fallait bien faire confiance aux grands, non ?

NDA : Isidore était devenu trop sérieux depuis quelques chapitres, celui-ci est pour rappeler qu’il possède un côté clownesque malgré son apparence propre sur lui

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NDA : Isidore était devenu trop sérieux depuis quelques chapitres, celui-ci est pour rappeler qu’il possède un côté clownesque malgré son apparence propre sur lui. Il y a aussi au début du chapitre une référence obscure à un personnage dans l'une de mes sagas fantasy. Bravo si vous voyez de qui on parle. Si vous ne comprenez ni la référence, ni la blague à propos du sindarin, ce n’est pas grave : vous êtes comme Tom lorsque Léna part dans ses délires de nerd. Faut juste suivre le flow et pas se prendre la tête – « ça lui passera » comme on dit. Considérez surtout que le premier dialogue est un indice sur la future relation entre Léna et Isidore : au grand dam de Tom, ces deux-là s’entendront comme larrons en foire !

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