Dans une certaine maison située dans un certain village en Bourgogne, un hurlement d'enfant retentit. Le cri se prolongea en une longue plainte qui déchira l'aube nouvelle. Les cheveux enroulés dans une serviette grise, pieds nus, Léna courut dans le couloir du premier étage, pour rejoindre la chambre de son fils. Au milieu de la pièce, Benedikt pleurait à grosses larmes. À ses pieds gisaient des pièces brisées de bois verni. Impossible de reconnaître leur forme d’origine. Debout devant le garçon, Maëlle, sa sœur aînée, le fixait. Les bras croisés sur sa poitrine, la pré-adolescente au visage fermé ne bougeait pas, malgré la détresse visible de son frère. Les deux enfants Lécapène étaient pourtant très proches : Ben suivait Maé comme un poussin, et elle le maternait comme une poule. « C’est bien, ironisa la jeune fille en s’adressant à son cadet. Exprime ta tristesse, ressens-la bien, souviens toi d'elle ! »
Face à ce discours aussi imprévu qu’étonnant, leur mère intervint : « Maé, que s’est-il passé ? Tu devais aider ton frère à s’habiller, pourquoi vous êtes encore en pyjamas ? Pourquoi il pleure ?
— Ben a rigolé après avoir cassé ma boîte à musique. Maintenant, il pleure parce que j'ai cassé son jouet préféré. Pourtant, j’ai la décence de ne pas en rire.
— Chérie ! Tu ne peux pas te comporter comme ça avec ton petit frère, il a cinq ans !
— Je ne vois pas pourquoi son âge intervient dans cette histoire, répliqua Maé d'une voix neutre, en observant Ben dont les sanglots, moins sonores, perduraient.
— Il ne sait pas ce qu'il fait !
— Alors il apprendra que ses actes irréfléchis auront des conséquences fâcheuses pour lui.
— Maé, on ne violente pas les autres. On ne détruit pas ce qu'ils aiment. On utilise ses mots pour résoudre les conflits ! »
En soupirant, l'enfant se tourna vers sa mère. Son ton devint celui d'une enseignante : « Ben est trop petit pour comprendre mes mots, Maman. Il doit expérimenter ma détresse pour y compatir. » D'une main lasse, Léna couvrit son visage pour marmonner : « Il est trop tôt pour se prendre la tête. Je dois encore me peinturlurer la face, et me coiffer pour être jolie au mariage des garçons. » Ensuite, plus distinctement, elle s’adressa à Maé : « Ton père va parler avec toi. » Enfin, elle sortit à grands pas de la chambre. Elle hurla : « Gilles ! Va dans la chambre de Ben ! Faut discuter avec ta fille ! »
En arrivant devant ses enfants, l'un en pleurs, l'autre impassible, le père de famille eut la même réaction que son épouse : « Maé, que s’est-il passé ? » Mot pour mot, sur le même ton implacable, la petite carotte qui avait grandi répéta : « Ben a rigolé après avoir cassé ma boîte à musique. Maintenant, il pleure parce que j'ai cassé son jouet préféré. Pourtant, j’ai la décence de ne pas en rire.
— La tristesse de ton frère ne réparera pas ta boîte à musique, ma chérie. »
Maé tressaillit. Elle détourna la tête, les yeux brillants, sa voix devenue moins mécanique : « Il savait que c’était ce que j'avais de plus précieux. C’est du vrai or ! Et c’est l'oncle Ced qui me l'a rapportée d'un voyage !
— Ben l'a cassée exprès ?
— Non, c’était un accident... Mais Ben a rigolé quand il a vu ma panique. C’est ça qui m'a énervée !
— Maé, tu as le droit de piquer une crise, de pleurer, de rapporter les bêtises de ton petit frère à tes parents. Nous aurions puni Ben, en lui expliquant le problème. »
La jeune fille se permit enfin de verser des larmes. Les pleurs de sa sœur poussèrent Ben à redoubler les siens en soutien. Comme sortis du même moule roux, les enfants de Gilles exécutèrent un duo de lamentations. Leur chevelure désordonnée sursauta en rythme au-dessus des yeux d'émeraude inondés. Gilles considéra qu'il était trop tôt pour intervenir, les enfants devaient prendre conscience des torts partagés, non tomber dans l'auto-apitoiement pour attirer le soutien d'un tiers. Entre deux sanglots, Maé argumenta : « Mais vous avez déjà beaucoup de travail, je veux pas vous embêter !
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Éclosion
RomanceAvocat expérimenté, Isidore est un homme de la ville, allergique au milieu rural depuis son coming-out. La campagne lui donne littéralement des boutons. Or, d'une vieille tante avec qui le contact semblait rompu, il a hérité une maison située en Bou...