Silence

6

Dites-moi que c'est une blague.

- Surprise.

Effectivement. Je vais de surprise en surprise, aujourd'hui.

- Ça va pas être possible.
- Écoute, je suis aussi embêté que toi, mais on n'y peut rien. On n'a pas le choix, il n'y a aucune autre chambre libre.
- Dis-moi qu'il y a au moins deux lits.
- Oui, oui, rassure-toi !

Ouf de ce côté-là. Mais reste encore le problème de partager ma chambre avec un inconnu ! Un garçon, qui plus est.
Jojo essaie du mieux qu'il peut de me rassurer...

- On va s'arranger, ne t'inquiète pas ! Ce sera pas si terrible, tu verras. Et puis, comme ça, on apprendra à se connaître.

... ce qui ne s'avère pas très concluant.

- En plus, on aura beaucoup plus de temps pour élaborer notre plan !

Là, il marque un point.

- Oui, tu n'as pas tort... D'ailleurs, il faudrait peut-être qu'on s'y mette !
- Tu as raison.
- Au fait, je me posais une question.

En réalité, des centaines de questions m'assaillent, mais elles attendront. Pour l'instant, il y a plus urgent.

- Oui ?
- Comment se fait-il qu'aucun Traqueur ne nous ait tués ? Je veux dire, on a quand même chanté, tout à l'heure... et j'ai du mal à croire que personne ne nous ait entendu.
- Aussi surprenant que ça puisse paraître, toutes les chambres sont insonorisées. Donc tu pourras chanter autant que tu voudras, tant que la porte de notre chambre sera fermée, personne ne t'entendra !
- Sérieusement ?! Mais c'est super !
- N'est-ce pas !
- On va pouvoir organiser des réunions top secrètes et faire nos plans en toute sérénité... On pourrait même s'inventer des noms de code !
- Dis-moi, tu n'aurais pas regardé un peu trop de James Bond, toi ?

Prise la main dans le sac.

- Et tu sais pourquoi les pièces sont insonorisées ?
- Les Traqueurs ont une ouïe surdéveloppée. Ils obtiennent cette faculté au terme d'un entraînement très poussé. C'est ce qui nous attend.

Je grimace à ces mots. Je n'ai jamais été très... résistante, physiquement. Alors penser qu'un entraînement ardu nous attend... très peu pour moi.

- Donc, après cet entraînement, leur ouïe devient très fine. Mais c'est un pouvoir à double tranchant : grâce à ça, ils entendent à plusieurs kilomètres à la ronde n'importe quelle musique, mais d'un autre côté, ils sont très sensibles à tous les bruits. C'est pour éviter une « saturation » qu'ils insonorisent les chambres, qui sont les endroits les plus bruyants.
- Une saturation ?
- Oui, vu qu'ils ont une ouïe très développée, presque tous les bruits leur parviennent. C'est épuisant, à la longue.
- Ah, je vois... En tout cas, j'ai eu de la chance de ne pas m'être fait prendre.
- Comment ça ?

On est alliés, je devrais pouvoir lui dire.

- Dès que je peux, dès qu'il n'y a personne autour de moi susceptible de me dénoncer, je chante. Je me déchaîne, j'en ai besoin.
- Et tu n'as jamais eu peur que les Traqueurs t'entendent et te capturent ?
- La musique fait partie de ma vie.

Il me dévisage en essayant de comprendre.

- C'est très joli, ce que tu viens de dire, mais... euh... quel rapport ?
- La musique est en moi, je ne peux pas m'en empêcher, j'ai besoin de chanter, de me libérer de temps en temps.
- Libérée, délivrée...

Je dois me retenir de rire cette fois-ci, et ça n'échappe pas à Jojo qui pousse la chansonnette.

- ... je n'obéirai plus jamaiiis... Libérée, délivrée, c'est décidé, je chanteraiii !

Il m'a eue, j'explose de rire en entendant son remix de cette vieille chanson Disney.
Je tente de reprendre mon sérieux, mais Jojo repart de plus belle.

- J'ai laissé mon Walkman bien caché... tout plein de poussière...

Je réussis à me calmer un peu. J'applaudis des deux mains son karaoké.

- Franchement, bravo ! Tu es super fort en impro !

Jojo, tout sourire, mime une révérence.
Et je me rends compte à cet instant qu'il est bien plus grand que moi... ce qui n'est pas pour me plaire. Je sais bien que je suis hors course avec mon petit mètre soixante... ça ne m'empêche pas d'être agacée que les autres soient plus grands que moi !

- J'ai réussi à la faire rire ! sourit-il.
- T'es dur, je ne suis pas si morose que ça...

À la moue dubitative qu'il arbore, je comprends que je ne l'ai pas convaincu. Avouez qu'il est dur ! Je suis joyeuse, au quotidien... non ?

- Reprenons où nous en étions... on parlait de quoi déjà ? demande-t-il.

Ça ne fait pas une heure que je connais ce garçon et j'ai déjà envie de l'étrangler. Ça promet pour la suite.

- De nos noms de code ! Je serai 017 et toi 018.
- Pourquoi 17 et 18 ?
- Ben... c'est nos âges.

J'avoue que, sur ce coup, je n'étais pas très inspirée.

- Mouais... Qu'est-ce que tu dis de Han Solo pour moi et... hmm... je sais ! Tu seras Chewbacca !
- Pardon ?!
- Oh, allez, il est cool, Chewie !
- Peut-être, mais être comparée à lui, c'est pas top !

Jojo s'amuse (oui, encore... ce garçon est l'incarnation de la joie) de mon indignation.

- Et arrête de rire !
- Pardon, c'est plus fort que moi.

Je n'arrive pas à trancher. Jojo est gentil mais... il m'exaspère. On va laisser ça de côté pour l'instant.

- Bon, on verra pour les noms de code plus tard. En attendant, essayons d'imaginer un embryon de plan.
- Un embryon de plan ?

Et le voilà reparti dans un fou rire. Cependant, il comprend à mon regard noir qu'il ferait mieux de s'arrêter.

- Déjà, il ne faut pas que les Traqueurs découvrent notre alliance. Ce serait... légèrement compromettant.
- Bien vu, Sherlock.
- Mais c'est qu'elle sait aussi vanner !

Retenez-moi de le tuer.

- Bref, il faudrait qu'on frappe fort et en un seul coup. Si on doit s'y reprendre à deux fois, on risque de se faire découvrir. Est-ce que tu sais où est la salle principale, là où les Traqueurs communiquent avec le maire ?
- Oui, elle est...

Jojo n'a pas le temps de finir sa phrase car notre porte vient de s'ouvrir en grand pour laisser entrer... un Traqueur.
Génial.