Chapitre 1

186 20 2
                                    

| Vendredi 16 Avril |


Affairée à boucler un dernier dossier avant de partir en week-end, dehors il fait déjà nuit et il ne reste plus que mon père et moi.

Alors que je rédige rapidement un mail à mon client pour l'informer de sa date d'audience, je sursaute lorsque je remarque que mon père vient de s'installer en face de moi.

Un verre de cognac dans chaque main et les traits tirés, il me fixe étrangement. Tandis que je m'étonne de son comportement, je n'arrive pas à déterminer son air indéchiffrable.

Est-il fatigué ou est-il contrarié ?

Plutôt habitué à prendre un verre de fin de semaine avec quelques-uns de mes collègues, je n'avais jamais eu droit à ce favoritisme.

Claquant l'écran de mon ordinateur, je trouve ses grandes prunelles marron-vertes.

– Serais-je devenue ta nouvelle chouchoute pour avoir droit à ce traitement de faveur ? lancé-je joyeusement.

Un instant surpris, il ricane la seconde d'après en faisant tinter son verre contre le mien.

– Qui d'autre ici pourrait être ma chouchoute à part toi ? Et c'est vrai que depuis quelques mois, je ne pourrais pas être plus fier de toi. Tu fais un travail vraiment exceptionnel pour le cabinet Anna, me déclare-t-il sobrement.

Habituellement froid, je ressens une puissante émotion et une certaine fierté que mon père prenne le temps de partager ce moment avec moi.

– Tu penses que je suis prête à passer le barreau ? relancé-je.

– Bien sûr que tu l'es et même depuis bien longtemps si tu veux mon avis, m'affirme-t-il naturellement.

À nouveau flattée par sa confiance, je souris niaisement alors que ses lèvres se pincent.

– Mais c'est aussi pour ça que je voulais discuter avec toi ce soir.

Simplement neutre, il se contente de fixer en balançant légèrement la tête de gauche à droite.

– Je t'écoute.

– Ta demande pour le programme d'expatriation en Russie a été refusée, m'annonce-t-il.

– Quoi ? Merde ! pesté-je.

Alors que mon cerveau se met à tourner à mille à l'heure, je n'avais pas anticipé ce cas de figure.

Quel con a bien pu choisir de partir en Russie pour clôturer ses études ?

– Putain, quelle merde sérieux !

– Je sais. Maman aurait été tellement contente, d'autant plus que nous comptions venir avec toi là-bas, m'avoue-t-il chagriné.

Tous les deux silencieux, je reprends une gorgée de cognac pour faire passer la pilule.

Si c'est encore un coup de cette peste de Charlène pour me faire chier, je jure qu'elle va vraiment finir par l'avoir son procès.

– Tu avais regardé les autres pays de disponibles ?

– Pas vraiment. Je suis la seule à être apte à parler Russe dans ma promo alors je pensais que j'allais être la seule à vouloir partir en Russie, soufflé-je blasée.

Silencieux, il me tend la feuille qu'il froissait dans ses mains.

– Si ça t'intéresse, la fac m'a envoyé la liste des pays restants, m'informe-t-il.

Dédaigneuse, je prends ce fichu bout de papier en lâchant un soupir à fendre l'air.

Liste des pays encore disponibles à recevoir les étudiants en dernière année de droit international pour le programme d'expatriation :

– Brésil
– Bulgarie
– Danemark
– Finlande
– Lituanie
– Maroc
– Monaco
– Roumanie
– Slovénie
– Suède


– Super... râle-je en grimaçant.

– Le Danemark peut être une bonne destination, me suggère mon père.

Absolument pas convaincue, je secoue vivement la tête.


– Ou sinon tu pourrais partir te faire bronzer au Brésil sinon ? poursuit-il en ricanant.

Toujours pas convaincue, je plie le morceau de papier en quatre.

– C'est la merde, il ne reste que des pays qui n'ont pas bonne réputation dans le milieu des affaires ! pesté-je.

– Tu plaisantes Anna ? Il y a des sacrées pointures du droit à Monaco ! s'indigne-t-il franchement.

– Laisse tomber papa, je n'irais jamais à Monaco.

– Et pourquoi ça ?

– Parce que c'est non négociable. Je déteste ce pays, je déteste le rocher et je déteste les Monégasques.

Hébétée, je l'observe ricaner dans sa barbe.

– De toute façon, tu ne vas pas avoir le choix de faire la difficile !

– Crois-moi que si je te dis que je n'irais pas là-bas, je n'irais pas ! me défends-je.

– Donc tu préfères finir en Roumanie ou en Finlande ? Quitte à choisir, moi j'irais à Monaco. J'ai un très bon ami là-bas qui dirige un énorme cabinet, il me doit une faveur, je peux lui écrire un mail demain.

Agacée de devoir faire le dos rond, l'offre de mon père est trop belle pour ne pas être considérée.

– D'ailleurs, je trouve que tu es plutôt chanceuse qu'il reste une place là-bas ! A mon avis, si les autres de ta promo n'y sont pas, c'est qu'ils n'ont pas trouvé de cabinet d'accord pour les prendre.

Chanceuse ? me dis-je en hurlant de colère dans ma tête.

– Bon, réfléchis-y vite parce qu'il faut que tu leur donnes une réponse avant minuit, m'apprend-il.

– Minuit ? Minuit de ce soir ? repris-je, estomaquée.

– Minuit de ce soir.

Putain de merde !

Sur ce coup-là, j'ai vraiment chié dans la colle à jouer à l'autruche, le nez dans mes dossiers.

Je me déteste d'avoir pensé que je serais la seule à vouloir partir en Russie. Maintenant, avec mes conneries je me retrouve à devoir choisir un pays de merde dans lequel je pensais ne jamais avoir besoin d'y remettre les pieds.

Résignée, je rouvre l'écran de mon ordinateur sous le regard compatissant de mon patriarche qui me sert un nouveau verre de cognac pour me donner du courage.

– Ce ne sera pas si terrible que ça, ne t'en fais pas, m'encourage-il.

Inerte, je termine d'un trait mon verre de cognac.

Enchaînant les actions rapidement, j'écris en quelques secondes le mail à mon directeur de fac pour l'informer que je souhaite exécuter mon programme d'expatriation à Monaco et que je dispose déjà d'un employeur là-bas.

Le mail aussitôt envoyé, je referme mon ordinateur en retrouvant les prunelles brillantes de mon père.

– Direction Monaco ! s'exclame-t-il malicieux.

– Super...

– J'ai déjà hâte de venir les week-ends pour siroter des cocktails avec ta mère pendant que tu bosseras ma petite fille !

– Encore mieux... soupiré-je en gloussant de désespoir.

Don't Look Down IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant