Flashback - partie 9

170 14 1
                                    


| Août 2015 |
|7 ans plus tôt |


Si à 17 ans j'estime être suffisamment adulte pour faire comme bon me semble, apparemment mes parents ne l'entendent pas de cette oreille. Je me retrouve une nouvelle fois contrainte de les suivre dans leurs délires.

À choisir, j'aurais préféré m'enfermer dans la chambre de Charles pour reprendre là, où nous nous sommes arrêtés hier. Malgré ça, je suis forcée de prendre la direction du port avec mes parents. La seule chose qui me remonte le moral, c'est de savoir que Charles a annulé sa session de karting pour se joindre à notre sortie bateau.

Je vais pouvoir me rincer discrètement l'œil, c'est toujours ça.

Les deux patriarches derrière la barre du bateau et les amarres larguées, nous nous éloignons rapidement de la côte. Je découvre pour la première fois le fameux Rocher dont tout le monde parle. Même s'il n'a rien d'exceptionnel, il n'est si laid que ça finalement.

La côte Monégasque s'éloigne et puisque je n'ai que ça à faire, j'en profite pour parfaire mon bronzage sur le bain de soleil à l'avant du bateau. Le reste de la famille sur le pont arrière, les patriarches trinquent au vin blanc, les matriarches jacassent, les deux petits diables jouent à un jeu de cartes et Charles à l'air de se faire chier à mourir au milieu de tout ce petit monde.

Je peux sentir le parfum du regret d'ici alors que fait un vrai compte rendu à mes amies en leur racontant ma soirée d'hier. À peine ai-je envoyé le premier message que je reçois déjà des vagues de questions et de conseils foireux en tous genres. Je ricane dans mon coin en les imaginant déjà lancer les paris sur la date à laquelle je vais y laisser ma peau ou ma vertu.

– Toi, si tu continues comme ça, tu vas finir rouge comme une écrevisse ! me balance ma mère en arrivant dans mon dos.

 
L'écran de mon téléphone verrouillé, je me contente de lui sourire en réajustant mes lunettes de soleil sur mon nez. Les bras croisés l'un sur l'autre, elle soupire en se laissant lourdement tomber sur la banquette du bain de soleil.

– Aller Snegourka* vient par là que je tartine de crème solaire, me dit-elle avec son tube de crème solaire à la main.

– Da Mama.

Le tube de crème solaire à la main, je profite du massage gratuit que je viens de gagner. Alors qu'elle s'extasie du bleu profond de la Méditerranée et ses côtes bétonnées, sa frénésie s'arrête net quand je sens que ses paumes se raffermissent sur mon dos.

– Dis donc, il est nouveau ce maillot de bain ?

– Tu ne l'aimes pas ?

– Si, il est très mignon, mais un peu trop échancré à mon goût, me répond-elle.


Les bras croisés sur la poitrine, je l'observe soupirer tandis que je lutte pour ne pas éclater de rire devant sa mine renfrognée.


– Tu sais que je suis bientôt majeure et que je peux choisir ce que je veux et ce que je peux porter, hein ?

– Je sais, râle-t-elle. Mais ce n'est pas une raison pour montrer ton cul à tout va, Snegourka ! réplique-t-elle en tapotant mon fessier d'indice 50.


Les yeux levés au ciel, je ricane en chœur avec ma mère et notre petite raillerie attire les regards dans notre direction.

– Tu sais que je ne suis pas dupe, me souffle ma mère à l'oreille.

– Dupe ? répété-je en riant jaune devant son air inquisiteur.

– Tu lui a tapé dans l'œil ma cocotte, me lâche-t-elle en désignant Charles du menton.

– Mais qu'est-ce que tu racontes ? repris-je.

– Non, non, non, riposte-t-elle en secouant son index sous mon nez. Regarde-le comment il te dévore des yeux !


Redressée sur mes fesses pour lui faire face, mon cœur manque un battement alors que j'essaie de dissimuler ma panique derrière mes grandes lunettes noires.

Elle a raison, le regard de Charles est braqué sur nous.

– C'est pour lui que tu portes ce petit bikini ?


Je roule les yeux au ciel en secouant négligemment la tête. Pourvu que j'arrive à tourner en ridicule ses suppositions parce que son sourire machiavélique ne me dit rien qui vaille.


– Tout comme ta nouvelle petite lingerie, me dit-elle. Le bleu marine est très mignon.


Dites-moi que je rêve.

Mes lunettes de soleil baissées sur mon nez, j'hausse les sourcils en fixant ma mère. Je ne connais personne d'autre avec une telle intuition, elle pourrait vraiment être une espionne russe. Et avec tous les déplacements qu'elle fait avec mon père, ça ne m'étonnerait pas qu'ils soient un genre de Mr et Mrs Smith.


– Tu joues à l'inspecteur gadget maintenant ? raillé-je.

– Non, tu te trahis toi-même en laissant traîner tes affaires près de la machine à laver.


L'argumentaire n'est pas mauvais, pensé-je en me retenant de rire devant tant de mauvaise foi.


– Dans tous les cas, laisse-moi te dire que je n'ai pas l'intention d'être grand-mère de si tôt ! reprend-elle, l'air dramatique.

– Et laisse-moi te dire que ça ne risque pas d'arriver.


Elle me regarde de travers sans croire un seul de mes traîtres mots.


– Je suis vierge, rectifié-je d'une voix aussi dramatique que la sienne.


Comme si elle avait été déchargée d'un poids imaginaire, les ridules de son visage se détendent immédiatement et elle se radoucit.


– Tu es trop curieuse Mama.

– Je sais, me répond-elle simplement.


Elle sait pertinemment que ses interrogations sur le ton de la rigolade m'exaspèrent et pourtant ça ne l'empêche pas de revenir à la charge pour grappiller des informations par-ci, par-là.


– Ne grandis pas trop vite ma petite Snegourka, me dit-elle en caressant les pommettes.


Ses paroles sont douces et chaleureuses. Pourtant, ça ne me donne pas envie d'être raisonnable. Je n'en ai, ni le temps, ni l'envie et je compte bien repartir de ce fameux Rocher avec un petit quelque chose en plus ou moins.

Tout dépend de l'angle de vue.




* Snegourka – « fille des neiges » en russe, en référence à Blanche neige.

Don't Look Down IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant