| Mercredi 19 Mai |
Ses sourcils se froncent et je devine que ma boutade sur la polygamie n'a pas franchement l'air de le ravir. Je noie le poisson en m'enfilant un énième shooter sous le regard curieux d'Enzo qui m'observe faire honneur aux traditions originelles russes.
– Apprends-moi, me dit-il en remplissant les deux petits verres.
– À boire comme un Russe ?
Une seconde sceptique, il hoche de la tête en continuant à me jauger du regard.
– Je ne te savais pas slave. Anna Barrière, ça ne résonne pas vraiment russe.
Sa réplique me donne le sourire et il se détend pour la première fois de la soirée en esquissant un premier vrai sourire et je me détends aussi. Même si je ne me sens pas particulièrement à l'aise en sa présence, je préfère toujours ça à devoir faire des courbettes hypocrites à la table de Charles.
D'ailleurs ma mère s'y trouve toujours et semble y être dans son élément. Installée à côté de l'autre matriarche, je devine qu'elles sont sûrement en train de jacasser comme des pies. Des pensées négatives me traversent l'esprit et tandis que je balaie l'air de la main pour les chasser, je m'affaire à rassembler les ingrédients.
– Petrova est le nom de ma mère, réponds-je finalement à Enzo.
Visiblement, l'information lui plait, car il me sonde du regard tandis qu'un petit rictus vient de naître au coin de ses lèvres.
Un peu comme s'il découvrait une nouvelle Anna.
– D'abord le concombre pour neutraliser l'amertume puis la vodka et enfin le pain pour expirer l'alcool. Regarde, lui dis-je en rencontrant ses yeux doux.
Attentif à la démonstration que je lui offre, il réplique le rituel à l'identique et je souris avec la même satisfaction que ma mère quand je vois le visage d'Enzo s'éclairer.
– Merde mais c'est incroyable ! s'exclame-t-il avec la voix qui déraille légèrement.
– Je sais, dis-je en m'attribuant tous les mérites.
Je roule fièrement des épaules tandis qu'il ricane en faisant sursauter sa pomme d'Adam. Nos rires s'épuisent quand un pesant silence s'installe entre nous et j'ai le pressentiment que le Don Juan en lui est prêt à bondir.
– Tu es vraiment, surprenante et... intrigante ! Je comprends exactement pourquoi il continue à te vouloir, ajoute-il avec un air indéchiffrable.
Je savais que mon instinct ne me trompait pas.
Malgré ça, je tique sur ses derniers mots et je bute surtout sur le « il ». Enzo à l'air d'en savoir plus qu'il n'a bien voulu le dire et je déteste ça. Ma colère contre Charles s'évapore et les quelques mots d'Enzo suffisent à faire renaître un espoir qui me rend vulnérable face à Charles et vulnérable face à moi-même.
Un instant silencieuse, je fais tourner le petit verre sur le bout de mon index avant de me décider à reprendre la conversation. Quitte à relancer la discussion et à rentrer dans le vif du sujet, j'ai bien l'intention d'en apprendre plus sur ce trio infernal.
– Tu ne l'aimes pas, affirmé-je.
– Il ne l'aime pas non plus, me dit-il en secouant la tête.
– Pourtant vous aimez la même femme. C'est carrément bizarre, non ?
Amusé par le regard coupable que je lui renvoie, je me redresse quand sa paume se pose sur mon menton et qu'il m'oblige à détourner le regard de sa table pour fixer ses prunelles. Il me sonde comme une étrange créature et je suis capable de voir que ses méninges tournent à plein régime.
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Don't Look Down II
FanfictionDire qu'après la pluie vient le soleil n'est qu'un ramassis de conneries. Depuis que le fragile équilibre d'Anna a volé en éclats, elle ne va plus que de déboires en déboires. Laissant sa vie sociale de côté pour se concentrer sur sa carrière, le se...