Chapitre 16

168 18 1
                                    

| Samedi 15 Mai |


– Merde ! grimace Cyrielle.

– On est arrivées au mauvais moment ? me sonde Léa, navrée.


Cramponnée au comptoir de la cuisine qui reçoit tout le poids de mon désespoir d'avoir été laissée en plan, je lutte de toutes mes forces pour ne pas me laisser glisser sur le sol en chouinant.

Malgré ça, je résiste.

Cette attitude serait celle d'une gamine qui ferait un caprice de ne pas avoir obtenu ce qu'elle voulait, et ce n'est pas ce que je suis. Alors je me contente de donner le change en secouant négligemment la tête.


– Non, réponds-je plus froidement que je ne l'aurais voulu. De toute façon, il n'avait rien à faire ici, ajouté-je en adoucissant ma voix.


À mon grand dam, elles sont bien loin d'être dupe de ma petite mine ingénue lorsqu'elles me scrutent incrédules. Les bras croisés sur leurs poitrines, elles n'ont pas besoin de me parler pour me faire comprendre le fond de leurs pensées. 


– Quoi ! protesté-je mollement en levant les mains en l'air.

– Il n'avait rien à faire ici et pourtant on dirait bien que tout le monde s'est bien éclaté, me répond Léa en ricanant et en désignant le pot de pesto qui gît au sol.

– C'est clair que ça devait être sport vu l'état de ton appart, enchérit Cyrielle, hilare.


Les lèvres retroussées, je crois halluciner quand je cligne des yeux à plusieurs reprises pour m'assurer que je ne suis pas en train de rêver.

Non, c'est loin d'être un rêve.

Nous avons fichu un bordel sans nom dans ma petite garçonnière et il n'y a pas que le pot de pesto qui n'a pas survécu. Le grès du coquetier a explosé en mille morceaux et le paquet de coquillettes s'est éparpillé sur le parquet de la cuisine.

Un vaste soupir m'échappe lorsque je m'agenouille pour m'affairer à ramasser les dégâts de la tempête Charles.


– Non, grogné-je de mauvaise foi.

– Non ? s'étonne Léa en gloussant.

– Je vous jure qu'il ne s'est pas passé autant de choses que l'on pourrait le croire


Toujours dans le viseur de Léa et Cyrielle, j'ai bien l'impression qu'elles ne croient pas un seul de mes traîtres mots quand elles se mettent à pouffer en rire avec leurs bouches en cul de poule.

Un regard noir jeté dans leur direction et je manque de m'entailler la main quand une soudaine nervosité me rend empotée et incapable d'éviter les bords tranchant du pot en verre.


– Putain, fait chier ! m'agacé-je.


Le malheureux pesto verde est en train de se transformer en pesto mi-rosso, mi-sanglant.


– Laisse ça, m'ordonne Cyrielle en prenant mon relais pour nettoyer le sol.


La main passée sous l'eau froide pour nettoyer ma plaie, une moue écœurée se colle à mes traits à la vision de mon propre sang.

– Donc, il n'a pas fait sauter ta ceinture de chasteté ? reprend Léa en s'accoudant au comptoir de la cuisine.

– Non.

– Et c'est une bonne chose, non ? élude-t-elle.


Une bonne chose ?

Perplexe sur la question, je prends une grande bouffée d'air en pensant que je pourrais bien me féliciter de ne pas m'être laissée distraire, mais en toute honnêteté, ce serait totalement hypocrite de ma part.

Ça me tue de l'admettre mais je crevais d'envie de lui et cette simple pensée suffit à me rendre encore davantage frustrée d'avoir été laissée en plan. Surtout quand ça fait des mois et des mois que je suis au régime sec du sexe.

Autant dire que j'ai une putain de faim.

Même s'il aurait bien mérité une petite vengeance, je ne me sentirais pas coupable d'avoir foutu en l'air la relation de la Charles seulement pour mon propre petit plaisir. Enfin si l'on considère que les baisers et que les préliminaires ne sont pas tromperies.

De toute façon, dans cette histoire, je ne suis pas celle à blâmer. Après tout, c'est lui qui est en couple et c'est à lui de savoir se tenir.


– Oui, je suppose que c'est une bonne chose, réponds-je sans conviction.

– Tant mieux, parce que sa nana est vraiment cinglée ! s'exclame Léa.


Un léger rictus sur le bord des lèvres, je ne sais pas si j'ai davantage envie de rire que de grimacer.

À choisir, je préfère encore en rire.

Un sourire légèrement trop mesquin sur les traits, je coupe d'un geste net le robinet d'eau froide, j'enroule ma main dans un torchon et je me penche vers mes amies qui me rendent le même sourire complice. 


– Racontez-moi ce que j'ai loupé, lâché-je pour le plus grand bonheur de mes amies.

Don't Look Down IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant