chapitre vingt-neuf

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LIZZIE

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LIZZIE

J'ai la sensation de marcher sur une plaque de verre, qui se brise sous les poids de mes pas. Tout s'effondre autour de moi, comme un ours polaire sur une dernière plateforme de glace alors qu'autour de lui c'est le vide. Le néant à l'infini. Juste un vaste horizon sans fin reflétant la lumière du soleil maudit.

Un ice berg n'est plus qu'un glaçon, une petite portion de glace luttant pour rester à la surface. Mon père. Le souvenir de mon père qui me manque infiniment. Il disparaît jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'une ombre terrifiante d'une affection passée. Une tragédie qui n'a jamais été prise en compte. Une injustice comme plein d'autres dans le monde honteux dans lequel on vit aujourd'hui. Une mort simplement effacée et oubliée. Pas d'enterrement ni même de reconnaissance. Juste une place dans la corbeille d'un ordinateur.

Puis un autre bloc de glace perd de sa contenance, fondant à vue d'œil. Mon Peter. Il était ma bonne étoile, mon ange tombé du ciel. Il a poussé miraculeusement entre terre et béton. Il m'a tendu une main accueillante et a chéri mon cœur comme on prendrait soin d'une petite plante en pot. Mais je vois son sourire disparaître de jours en jours. Il est faible, son sourire devient fade et sombre.

Il n'est plus le même.

Je me sens nue. Dépourvue de tout ce qui me réchauffait autrefois. Je suis dénudée, humiliée, terrifiée. Le froid traverse ma peau et écorche mes os jusqu'à la moelle. Je suis épuisée et rien ne parvient à me réchauffer. J'ai beau dormir des journées entières et sécher les cours, rien ne me repose. L'anxiété me dévore les entrailles.

Je l'aime tellement. Et je sens cette souffrance et cette peur engloutir la douceur dans mon cœur, comme un ver solitaire qui englouti sans pitié ce que je tente de chérir.

Il a les joues chaudes, je préviens l'infirmière d'une voix timide qu'il a sûrement de la fièvre.

J'aurais voulu l'avoir près de moi tout le temps. Pouvoir déposer un gant trempé d'eau fraîche sur son front et lui tenir la main pendant des jours. Mais je dois respecter les heures de visite et puis je n'ai pas toujours le courage de me préparer. Certes, je m'habille simplement, désormais le maquillage et la coiffure sont facultatifs.

Emily prend sa température avec un appareil d'une toute nouvelle technologie. Une sorte de stylo qu'elle peut simplement déplacer devant la tête du malade. J'hausse un sourcil lorsque l'engin se met à biper d'un son aïgu. Rien de rassurant, pensé-je.

Je me pince la peau du doigt comme j'ai pris l'habitude pendant mes anxiétés et regarde l'infirmière, inquiète.

Elle recommence une fois, l'appareil reproduit le même son strident.

- Je vais lui donner du paracétamol, déclare la brune en attrapant une boîte jaune déposée sur la table de nuit de Peter.

Elle sort un comprimé puis tente de le réveiller, en vain. Au départ, nous ne nous sommes pas inquiétée, pensant qu'il était simplement profondément endormi.

Emily a donc sorti un traitement liquide et lui a injecté sous forme d'une piqûre. Les heures ont passées et j'ai obtenu l'autorisation de rester avec lui pour son déjeuner.

Et c'est là qu'Emily a commencé à comprendre que quelque chose ne tournait pas rond.

Mon ventre est tordu par la douleur, je serre ma veste avec mes ongles tellement fort que j'en ai mal aux doigts. Le plastique se déchire et pourtant, je n'y fait pas attention.

Je quitte la pièce en marche arrière alors que la scène tourne au ralenti dans un plan étendu. Je suis comme dans un film. Tout est irréel.

Et pourtant je suis si passive, incapable d'agir. Je regarde comme une véritable spectatrice, mon implication est en sourdine.

Puis la porte se referme, je reçois une bouffée d'air frais qui agite mes cheveux. La posture figée devant un mur fade, je laisse le peu de larmes qu'il me reste s'écouler. De toute façon cette sensation est tellement familière que je ne fais plus vraiment attention à mes pleurs.

En une fraction de seconde, je suis assise sur les fesses, mes jambes ayant démissionné. J'attrape la main que l'on me tend et décide de partir.

Je dois dormir.
J'ai besoin de dormir.

Dormir.
Dormir.
Dormir.
Dormir.

Je ne rentre pas à pied, trop effrayée de me perdre désormais. Je n'y repense pas malgré tout, mon cerveau déduit mes décisions sans que ma conscience n'ait quoique ce soit à faire.

J'ai appelé Tante May.
Je devais parler comme une alcoolique en pleine crise existentielle mais je crois qu'elle a compris le message.

Une voiture sombre se gare devant le bâtiment et je monte à l'intérieur.

Elle ne démarre pas tout de suite. Elle me prend la main et me demande sûrement quelque chose. Mais c'est impossible pour moi de me concentrer sur ce qu'elle me dit. Je regarde à travers la vitre les gens qui passent dans la rue.

Leur vie paraît normale. Leur visage n'est pas déformé par la fatigue. Ils ne sont pas délavés comme des personnes sans hygiène et ne pleurent pas en continu.

Ils paraissent bien dans leur peau, normaux. Je les envie.

Peut-être qu'ils ont une famille qui les attends pour manger une dinde aux pommes de terre.
Peut-être qu'ils regardent le message de leur petit-copain qui leur propose de regarder un star wars ce soir.

Sans que je ne m'en rende compte, May démarre. Elle me ramène à la maison alors que le paysage défile en décalé. Les arbres ne suivent pas la vitesse de notre déplacement et laisse une traînée floue derrière eux.

Pourtant je ne bois pas d'alcool, je ne fume pas et je ne me drogue pas.

C'est à peine si j'ai encore le courage de boire du thé. Rien ne passe dans mon œsophage désormais. J'ai la nausée lorsque je vois de la nourriture, comme si j'étais constamment repue.

J'essuie mes pleurs, remplacés par de nouveau l'instant d'après.

La voiture s'arrête devant la maison et se gare à l'emplacement où le corps inerte de Peter était allongé. Ce jour où même si tout était beau, notre vie a basculée.

J'ai besoin de lui.
Et maintenant il ne sera bientôt plus qu'un fantôme.
Un nuage de fumée au même titre que mes parents.

Je ne serai plus qu'un torchon délavé que l'ont découpera pour en faire quelques chiffons. Et ces chiffons eux-mêmes verrons leur nombre diminuer de jours en jours jusqu'à ce que le dernier finisse à la poubelle.

Et là je ne serai plus qu'un tas de tissu comme un autre transformé en cendre dans une déchèterie.

Un tas de cendre et de la fumée.

C'est ainsi que l'amour sans fin se termine.

Parce que cette flamme n'est qu'un frêle phoenix, qui doit mourir pour renaître.

NEIGHBOR, 𝑠𝑝𝑖𝑑𝑒𝑟𝑚𝑎𝑛Où les histoires vivent. Découvrez maintenant