Chapitre 5 - TREVOR (part. 3)

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TREVOR

Ils avaient traversé les rues à grandes foulées, Trévor luttant pour ne pas avoir l'air de courir comme un abruti derrière Sasha. Au bout d'un moment, d'autres passants les avaient croisé en sens inverse, certains chantonnaient gaiement et commençaient tout juste à tanguer. La nuit était bien installée et les vingt-deux heures dépassées depuis un moment sur le téléphone qu'il avait consulté. Il avait analysé Sasha qui marchait sans rien dire et s'était efforcé de ne pas demander: « Et maintenant ? ». Il gardait en tête que s'il l'agaçait trop, elle pouvait à tout moment décider de retourner sur la place chercher ses clés et le laisser à son été morne.

Maintenant, la question était de savoir si ce ne serait finalement pas mieux ainsi. Il s'était persuadé qu'une rencontre pourrait être une solution, à coup de « qu'ai-je à perdre ? ». Mais maintenant, il était engoncé dans des « qu'ai-je à gagner ? » à la réponse trop fade. Il avait perdu de vue sa motivation si facilement qu'il se demandait si elle avait vraiment existé à un moment donné, ou si c'était juste une illusion infondée pour l'aider à lutter contre son propre ennui. Et il se sentait bien mélancolique, tout à coup.

Comme Sasha ne disait plus rien et que le silence pesait un peu trop sur ses pensées, il avait décidé de le rompre.

— Et donc, cette vie d'adulte ?

— Hein ?

— Tu as dit que tu allais bientôt entrer dans le monde des adultes, non ? Que c'était ton dernier job d'agent secret...

— Oh, ouais, façon de parler. Je sais pas si j'y entrerais vraiment un jour. Je crois que c'est plutôt un état d'esprit. Le genre que je suis pas prête à avoir.

Elle avait jeté un coup d'œil à Trévor avant d'ajouter:

— Toi non plus, à mon avis...

— Qu'est ce qui te fais dire ça ?

Elle avait haussé les épaules et Trévor avait préparé la prochaine phrase dans sa tête ( « du coup on fait quoi maintenant ? »), mais n'avait pas eu le temps de la formuler.

— Je sais pas trop ce qu'il se passe après le lycée, tu vois. C'est comme si d'un coup t'étais projeté dans un monde plus grand, inconnu, et que t'avais plus le droit de revenir en arrière. Plus tellement le droit d'être un agent secret non plus.

— Y'a pas d'âge pour être agent secret !

En disant ça, il s'était plaqué contre un mur furtivement et avait réussi à arracher un sourire à Sasha. « Et un bon point pour Trévor ! » s'était-il accordé mentalement.

Ils avaient marché encore un peu, et à force de s'éloigner du raffut de la fête sur la place, ils avaient fini par en trouver un autre, où les festivités étaient plus discrètes. Sur la plage, des gens étaient rassemblés par petits paquets épars.

— Fais chier y'a toujours des gens partout.

Sasha avait ponctué sa phrase d'un soupir mais avait réussi à se retenir de lever les yeux au ciel.

Ils avaient continué de marcher pour échapper aux autres âmes humaines qui regardaient fixement la mer, attendant qu'il se passe quelque chose ou que les premières étincelles apparaissent dans le ciel. Bientôt, ils s'étaient arrêtés pour s'asseoir sur un banc, de nouveau seuls. Certains passants continuaient de marcher pour rejoindre la plage sans s'arrêter devant eux, et maintenant qu'ils étaient là, ni l'un ni l'autre ne savait vraiment quoi faire.

Quand Trévor avait posé une énième fois sa question, Sasha avait eu un soupir exaspéré.

— Je peux jouer du saxophone, si tu veux.

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