Chapitre 1 - TREVOR (part. 2)

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TREVOR

Mardi 14 juillet — 14 h 24

Le lendemain, il s'était réveillé de la même manière que la veille – quoique un peu plus tard – mais s'était tout de même rendormi. Vers quatorze heures, il avait décidé de reprendre sa to-do liste et d'y ajouter une case supplémentaire, juste après la mention « tricot », et l'avait naïvement intitulée « vivre une grande aventure ». Il était inspiré par le documentaire de la veille, et il imaginait que Joshua aurait été content de savoir qu'il allait enfin prendre sa propre histoire en main. Être maître de ses propres croyances, n'était-ce pas aussi être maître de ses propres actions ? Après avoir ajouté son nouveau défi, il avait recommencé les aller-retours inutiles dans sa chambre, entre son lit et la fenêtre, jetant des coups d'œil à la pile bien nette de ses pulls faits main, en se demandant en combien de temps s'accomplissait la tâche de donner un sens à sa vie. Était-ce plus ou moins long que de tricoter un pull ?

Pour le moment, il ne savait pas bien par où commencer, mais cela ne l'inquiétait pas trop. Trévor était de ceux qui sont persuadés qu'il ne faut pas chercher l'aventure, mais plutôt la laisser venir. Sinon, où était la surprise ? Pour l'aider, il avait tout de même décidé de sortir, s'imaginant que pour démarrer une aventure, il fallait déjà commencer par une rencontre, et il savait bien qu'il ne rencontrerait personne depuis la fenêtre de sa chambre, dont les travaux étaient à l'arrêt en ce quatorze juillet: pas bête, la guêpe.

Trévor avait raturé mentalement ses dernières pensées: il n'aimait pas tellement les expressions. Il se disait néanmoins qu'un quatorze juillet était idéal pour commencer son aventure, puisqu'il pourrait profiter de l'animation extérieure pour débusquer quelque part l'incident déclencheur de son histoire.

C'était décidé pour lui. Avant ce soir, il n'était qu'un fade personnage de début de roman, qui se targue dans son journal intime de ne pas avoir une existence palpitante. D'ici la fin de la journée, il deviendrait ce personnage embarqué dans une folle aventure, et dont la fin du-dit roman le ferait écrire dans les dernières pages de son journal imaginaire quelque chose comme: « Il me tarde de revenir à une vie normale, loin de la tempête », mentant par la même occasion, car il savait très bien qu'après toutes ces aventures là, une vie normale ne pourrait plus le satisfaire, et surtout, ne pourrait plus être possible: il serait désormais le héros de sa propre histoire, après tout. Difficile de s'accorder une vie normale dans pareilles conditions. Difficile de se contenter de son actuelle existence devenue bien trop fade. Bien sûr, Trévor était conscient qu'il s'était un peu emporté dans ses rêves éveillés et ses conclusions d'histoires qui n'avaient même pas démarré, mais il se disait qu'il fallait toujours viser la lune, car même en cas d'échec on atterrissait dans les étoiles.

— Big up à toi, Oscar Wilde, avait marmonné Trévor, fier de se souvenir des mots du poète.

Il tournait ainsi la page de ses pensées pour accéder au prochain chapitre de ses grandes idées. Ou surtout pour échapper à un autre truc qu'il n'aimait pas: les citations n'étaient pas sa tasse de thé. Tout comme l'expression sur les tasses de thé n'était d'ailleurs pas sa tasse de thé.

À vrai dire, Trévor n'aimait pas grand-chose. À commencer par ce prénom. Pourquoi Trévor ? C'était une question pertinente. Car tout bien considéré, il y aurait eu meilleur choix à faire: ce n'était ni très harmonieux, ni très commun. Mais Trévor, lorsqu'il avait enfilé l'un de ses nouveaux pulls malgré la chaleur environnante – qu'il avait baptisé « pull de l'aventure » pour l'occasion –, avait décidé que le premier jour de son été des folles aventures ne méritait pas d'être vécu par un prénom ordinaire. Alors, il était suffisamment satisfait pour poursuivre sans se poser davantage de questions.

Le soir s'était ainsi annoncé à coup de dix-huit heures, et Trévor avait mis les pieds hors de sa maison, annonçant à sa mère qu'il partait « en quête de péripéties ». Il espérait ne pas rentrer trop tard quand même: il avait ajouté à ses favoris d'autres documentaires sympas sur NetVideo. Depuis qu'il avait fait la connaissance de Joshua, ses recommandations s'étaient affinées d'une manière qui lui plaisait bien, et il avait hâte de découvrir de nouvelles conspirations. Il s'était efforcé de se concentrer sur le moment présent. Maintenant qu'il quittait sa tanière, ce n'était pas pour rester focalisé sur ses élucubrations internes.

Dehors, il faisait encore doux et le soleil n'était absent qu'à cause des nuages gris qui bouchaient le ciel et le cachaient à sa vue. Comme chaque fois qu'il ne daignait pas se montrer, d'ailleurs. Trévor avait secoué la tête face à la stupidité de ses propres réflexions.

— Merci, Captain Obvious. Autant dire que la nuit, il fait noir.

Voilà ce que ça faisait, de passer trop de temps tout seul: le voilà qui marmonnait à voix haute. Ces trois jours avaient été une erreur, et il espérait qu'ils ne causeraient pas sa perte. Comment revenir à une vie sociale après pareille absence ? Au bout de combien d'heures de solitude devait-il se considérer comme un cas désespéré et admettre qu'il ferait mieux de finir seul pour le reste de sa vie ? Et enfin, quelle part était-il prêt à allouer au drama qui se jouait sans cesse dans son esprit quand il était censé se montrer réceptif à l'appel à l'aventure qui devait éventuellement retentir quelque part ?

Trévor venait de rejoindre le centre ville quand il s'était mis à pleuvoir cette petite pluie fine que l'on ne voit même plus, et qui à tendance à se fondre dans le paysage de Boulogne-Sur-Mer. Parfois, pareille pluie, bien que souvent source d'une profonde indifférence, parvenait à arracher à Trévor des « oh, tiens, il pleut ». Mais pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, Trévor avait la tête pleine d'aventures invisibles. Et d'un drama sans fin qu'il tâchait d'ignorer. Face à ça, il n'y avait que deux choses à faire. Laisser le film tourner sans lui donner trop de crédit. Se concentrer sur le plan de sauvetage d'un été foireux. Oui, ça c'était bien. Des aventures, et uniquement des aventures. Petites ou grandioses, peu importait. Il avait hâte de partir à leur rencontre, et avançait en se disant que pour quelqu'un qui s'était persuadé que l'aventure devait venir d'elle-même – et non pas l'inverse –, il partait tout de même un peu beaucoup à sa recherche. Sa réflexion l'avait dérangé un peu, mais il avait continué à marcher dans les rues bien remplies de la ville, toujours sans commentaire pour la pluie fine qui continuait à s'imposer.

Les gens se rassemblaient autour des stands provisoires érigés sur la place de la ville, commandant leur frites sans songer que Trévor en aurait bien voulu, lui aussi. Pour échapper à l'odeur, il avait fini par se glisser dans les rues adjacentes dont les commerces étaient presque tous « exceptionnellement » ouverts. Il pensait très fort « rencontre », et dévisageait les gens avec force pour analyser le potentiel d'aventures qui se dégageait d'eux. Trévor avait vite compris qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qu'était un potentiel aventure, ni comment il pouvait le déterminer en se contentant de regarder passer les gens, et avait décidé de passer à l'action, rompant définitivement la promesse – qu'il ne s'était, certes, jamais vraiment faite – de laisser l'aventure venir à lui. Rentrant dans un magasin de CD d'occasion à moitié vide, il avait parcouru l'allée principale des yeux deux fois avant que son regard ne tombe sur une fille qui venait d'émerger de sous un rayon. Elle avait l'air d'avoir à peu près son âge. Parfait.

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