Chapitre 12 - TRISTAN (part. 1)

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TRISTAN

DEUX MOIS PLUS TÔT...

Vendredi 03 juillet — 10 h 30

— Putain, Tristan ! Tu fais chier, merde !

Alors ça, ça faisait beaucoup de mots grossiers d'un coup, même venant de Justine. Tristan s'était efforcé de garder la tête bien haute et avait encaissé les insultes suivantes sans broncher.

— À chaque fois tu me fais le coup. T'es un putain de psychopathe, sérieux ! Pourquoi tu fais ça ? Tu saurais me le dire, au moins ?

Il avait essayé de penser à la question, mais tout ce qui lui venait à l'esprit, c'était que s'il avait l'habitude de voir Justine énervée, il avait encore rarement eu l'occasion de faire face à pareil agressivité. À peine un bonjour, il avait fallu qu'elle sorte les grands gestes et les grands mots d'emblée.

Tristan voulait bien admettre qu'il avait un petit peu abusé, mais de là à débarquer en furie... Justine s'était montrée plus conciliante par le passé.

Avant ça, les choses étaient différentes, entre eux. Elles n'étaient pas parfaites, ni même mauvaises. Ni blanches ni noires. Ni même grises, quand il y pensait. Qu'étaient-elles vraiment, dans ce cas ? Transparentes ? Non, transparentes impliquait d'être honnête. Et s'il y avait bien une chose que Tristan n'était pas, c'était une personne honnête.

Oh, il aurait bien voulu. Il essayait vraiment, parfois. Mais c'était plus fort que lui, et bien souvent il ne s'en rendait même pas compte. Que Justine veuille le punir pour cela lui semblait injuste. Il pouvait bien comprendre que ça avait tendance à être agaçant, mais ce n'est pas comme s'il pouvait le contrôler, pas vrai ? Ni comme s'il en avait envie...

Parfois, il aurait juste voulu quitter sa propre enveloppe corporelle, voguer au grès du vent pour voir où ça le porterait. Se donner une nouvelle perspective. Mais il était coincé dans sa propre chair, et la seule chose dont il était capable, c'était de la moduler légèrement, à défaut de pouvoir s'en échapper. C'était un peu son super pouvoir à lui, et Tristan, quand il ne le détestait pas, en était plutôt fier. Il avait bien conscience que les super héros devaient faire des sacrifices, et ça tombait souvent sur les relations amoureuses. Mais était-ce si grave, quand ça le confortait dans sa sensation d'être si spécial ? Lui qui avait toujours voulu l'être...

— Et en plus tu m'écoutes même pas quand je te parles ! J'hallucine ! T'es vraiment le pire des cons. Je sais même pas comment j'ai fait pour te supporter... C'était une erreur de te donner une seconde chance...

Tandis qu'elle poursuivait, Tristan n'avait pu s'empêcher de constater qu'elle parlait déjà au passé. Ça sentait le roussi, entre eux. Il espérait qu'elle lui accorderait une troisième chance sans faire trop d'histoire. Mais en y réfléchissant, il craignait que Justine n'ait plus réellement envie d'être avec lui. Ça faisait des semaines que c'était tendu, mais... et si aujourd'hui était le point de rupture ?

Ça doit bien l'arranger, avait pensé Tristan. Elle mettait fin à six mois de relation, comme ça, sans scrupule, pour être libre cet été. Peut-être avait-elle même cherché à provoquer tout cela, et tandis qu'il y pensait, il avait laissé ses méninges l'emporter dans un autre de ces mensonges à lui-même dont il avait le secret.

Elle avait tout prévu.

— Tu avais tout prévu, hein, avoue !

— Quoi ? s'était étranglé une Justine à bout de souffle après sa tirade dont la moitié s'était évaporée sans même atteindre les oreilles de Tristan.

— Tu avais prévu de foutre la merde entre nous pour avoir une bonne excuse pour rompre, et comme ça t'es libre pour faire ce que tu veux pendant les vacances !

Justine avait pris une teinte rouge, comme si elle s'apprêtait à exploser. Était-elle rouge de honte pour avoir été démasquée ? Ou rouge de colère... ?

— Tu sais quoi ? Je suis fatiguée de tout ça. Tu me fatigues. Tu m'épuises, même. Alors on va dire que t'as raison. J'ai tout prévu, oui. J'avais prévu que t'allais être le roi des connards, déjà. Prévu que tu passerais ton temps à me mentir.

— Tu vois ! Tu cherches même plus à nier.

Justine avait très envie d'éclater la tête de Tristan contre un parpaing pour le réveiller une bonne fois pour toute, mais elle comprenait seulement qu'il n'y avait rien à faire, que son cas était désespéré. Au lieu de l'attrister, ça l'avait soulagée. Ce n'était pas de sa faute, et elle pouvait se décharger du poids qu'il ajoutait sur ses épaules. Elle ne voulait plus rien avoir affaire avec lui.

— Tu devrais te faire soigner. Consulter quelqu'un... Enfin ça craint quoi !

Tristan n'était pas d'accord. Pour lui, ce qui craignait, c'était l'attitude de Justine. Où était passé son air compréhensif ? Où était passée la seconde chance ? Elle n'était pas terminée, et si elle croyait qu'elle pouvait manigancer des disputes, si elle croyait qu'elle pouvait le larguer de la sorte, elle se fourrait le doigt dans l'œil !

Mais elle voulait bien se le fourrer dans l'œil, visiblement, puisqu'elle avait tourné les talons après un ultime regard noir et une flopée d'insultes supplémentaires. Elle était remontée dans la voiture en claquant sa portière et sa mère, qui l'attendait, avait démarré. Justine avait adressé un dernier doigt d'honneur à Tristan, et sa mère avait voulu en faire autant, mais s'était pris le regard mauvais de sa fille. Tristan s'était retenu de rire devant son attitude. Elle avait toujours tellement voulu entrer dans les bonnes grâces de sa fille qu'elle copiait son comportement en espérant vainement devenir sa « bonne pote ». Mais Justine était trop imprévisible pour ça. Elle était du genre à donner des secondes chances et à les reprendre sans scrupules du jour au lendemain, juste parce qu'elle avait décidé de profiter du début de l'été pour être célibataire. Et quand l'été serait fini, elle n'aurait déjà plus de place pour lui, Tristan.

Il avait quitté le trottoir sur lequel il était resté immobile, en songeant que tous ses plans venaient de tomber à l'eau. Il faisait la tête à Gaël – ou peut-être bien que c'était lui qui la lui faisait –, il décidait de ne plus adresser la parole à son père, et Justine choisissait le moment où tout allait mal pour le larguer. La seule chose positive, c'était la perspective de passer les vacances à Bordeaux, le mois prochain. Au moins, il changerait d'air. Au moins, il n'aurait pas le temps de s'ennuyer, pendant quinze jours. Voile, bateau, visites de musées: une perspective qui lui remontait le moral, même quand il était tombé tout au fond de ses chaussettes. Mais en attendant Bordeaux, il faudrait survivre à la monotonie de la vie ici. Trouver de quoi rendre son existence un peu plus palpitante. Car désormais, il était seul. Pas même un ami pour traîner avec lui.

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