Chapitre 2 - THEO (part. 2)

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THEO

Ce samedi suivant, alors que Théo s'asseyait pour la deuxième fois en la compagnie d'Audric, le train de 10h52 était en retard. Audric fixait un point imaginaire, ignorant Théo qui fumait la cigarette qu'il avait fini par réussir à allumer. Il toussait encore, et Audric avait décidé de ne toujours pas le lui faire remarquer.

— Donc tu viens vraiment fumer là à heure fixe ?

— L'appel de la nicotine...

— Tu fumes en cachette ? T'es grand pourtant, avait rigolé Théo. T'as quoi ? Vingt ans ?

— Vingt-deux. Je fume pas en cachette, le cycliste. J'aime bien venir ici, c'est tout.

— Ben moi aussi !

Audric avait eu un rictus moqueur. Quel genre d'abruti aimait venir s'asseoir au bord d'un fossé pour sentir le frôlement des trains le samedi matin ? Il se serait bien cru le seul.

— C'est que la deuxième fois que tu viens.

Théo n'avait rien dit, et Audric avait froncé les sourcils.

— Attends, me dis pas que t'es revenu entre deux ?

— Non ! J'ai une vie, figure toi.

Le ton ironique de Théo avait interpellé Audric, qui l'avait dévisagé, suspicieux.

— T'es toujours en train de te morfondre pour ton histoire des dix que t'as jamais retrouvé ?

Il avait réussi à faire rire Théo, qui avait contesté.

— Non, figure toi que j'ai décidé de prendre mon été en main.

— Comment tu vas faire ça ?

Théo avait senti l'intérêt d'Audric dans sa question. Ils se demandaient, l'un comme l'autre, la raison de leurs présences respectives sur ce bout de quai inexistant. Si Théo ne savait pas bien pourquoi il était revenu – des restes de vides à combler malgré tout ? ; un manque d'une nicotine qu'il n'appréciait guère ? ; un intérêt modéré à regarder les trains passer ? – en tout cas, il était là.

— Je sais pas encore, avait menti Théo. Mais je finirai bien par trouver.

Il avait pris une longue bouffée de tabac dans ses poumons et n'avait même pas toussé.

— Tu vois, déjà je sens que ta compagnie m'inspire un nouveau moi qui s'annonce palpitant.

— Ça sonne tellement bizarre que je suis presque sûr que ça rentre, si ce n'est pas dans les métaphores, au moins dans les figures de style.

— J'aime pas les figures de style.

— Sans déconner.

— Ouais, bof, quoi.

— T'aimes pas grand chose, le cycliste.

— J'aime bien le vélo.

— Je sais.

Le train de 10 h 52 avait fini par passer, un peu plus tard et un peu plus rempli qu'à l'accoutumée, selon Audric. Si Théo n'était pas bien sûr de comprendre comment il avait pu le trouver particulièrement rempli – il avait pour sa part à peine eu le temps de deviner le reflet des arbres sur la peinture bleue –, il avait décidé de lui faire confiance sur la question.

Audric venait ici tous les samedis depuis bien plus longtemps que lui. Suffisamment pour connaître les horaires par cœur, et Théo était presque certain qu'Audric n'était pas le genre de type à apprendre les horaires des trains qui passaient près de son fossé. Parfois, Théo se disait même qu'Audric n'avait pas l'air d'être le genre de type à déclamer des métaphores foireuses près d'un fossé devant lequel passaient des trains, mais ça, c'était une autre question.

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