Chapitre 8 - THEO (Part. 1)

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THEO

Samedi 22 août — 10 h 47

Il était de retour. En fait, ils étaient de retour tous les deux.

Théo avait rejoint Audric à la même heure que les samedis précédents. Ça commençait à devenir une habitude, au bout de la quatrième fois. Il avait pris son vélo, encore, et l'avait laissé derrière le grillage, se faufilant avec de plus en plus d'aisance. Il espérait bientôt égaler la dextérité d'Audric.

Ce dernier, fidèle à lui-même, n'avait pas attendu Théo pour entamer sa première clope. Assis à même l'herbe, les jambes touchant presque le fossé, il n'avait même pas tourné la tête pour regarder Théo.

— Je croyais que tu viendrais plus. Ça fait un bail.

— Je t'ai manqué ?

Audric avait haussé les épaules. Théo avait pris place à côté de lui et avait sorti un paquet de cigarette de sa poche.

— Alors ? Du nouveau depuis la dernière fois ? T'as enfin pécho ?

Théo avait haussé les épaules. Du nouveau depuis la dernière fois ? Oui, très certainement. Avait-il « pécho » ? Non, certainement pas. Il en était tellement loin que ça l'avait fait sourire, de ce genre de sourire qui ressemble davantage à une grimace douloureuse.

Théo se souvenait de sa dernière conversation avec Audric. Elle remontait à quatre samedis plus tôt. Il était arrivé un peu avant onze heures et avait trouvé leur quai vide. Audric n'était arrivé qu'après le train de 11 h 12, s'asseyant naturellement, comme s'il avait toujours été là, et que son absence n'avait été qu'une illusion dans l'esprit de Théo.

— Ça va ? avait-il fait.

— Ouais.

Théo avait sorti de sa poche un paquet de cigarette neuf, comme s'il avait répété ce geste une vie entière et avait attendu le bon moment pour enfin le réaliser. Audric l'avait regardé en fronçant les sourcils, sans y toucher.

— Je te dois des clopes, non ?

Il avait finalement acquiescé et en avait tiré une du paquet. Il l'avait coincé entre ses lèvres et avait esquissé un geste vers sa poche, avant de s'interrompre.

— T'as du feu ?

Théo avait perdu son sourire fier.

— Ah non, merde. J'ai pas pensé.

Audric avait sorti le sien avec un sourire moqueur. Il avait allumé sa cigarette et l'avait tendu à Théo pour qu'il en fasse autant. Il s'était amusé à observer ses premières bouffées. Théo ne toussait plus, mais il n'avait visiblement aucun plaisir à fumer. Il continuait de se forcer. Pourquoi ? Audric aurait aimé le savoir.

Ils avaient porté leurs regards sur les rails, et la fumée s'échappant de leurs lèvres avait été le seul son audible depuis leur quai improvisé pendant un long moment. Ils étaient chacun perdus dans leurs pensées. Celles de Théo bourdonnaient depuis la veille, et il ne pouvait s'empêcher de coller un sourire idiot sur son visage chaque fois qu'il revoyait le sien en pensée. Il se sentait léger, un peu en décalage avec le monde qui l'entourait. Il avait bien failli ne pas venir voir Audric, ne pas prendre son vélo, et se laisser rêvasser à la place. Mais il devait garder les idées claires, juste un peu, en attendant de voir comment tout cela allait évoluer. Il s'était peut-être fait des idées, ou peut-être pas. Il avait l'impression d'une certaine réciprocité, mais il ne voulait pas non plus trop s'avancer. Tout gâcher.

— T'as l'air débile à sourire comme ça.

Théo avait laissé tomber son sourire quand Audric l'avait rappelé à la réalité.

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