Saphir

8.

Tues-les tous, ils le méritent.

Je m'élance déjà sur ma première cible, drapée de mon invisibilité. Elle s'effondre avant même d'avoir pu crier. La suivante n'eut pas plus de chance ainsi que les autres.

Mon moment favori arrive enfin, lorsque tes victimes réussissent à te voir grâce au sang de leurs congénères.

Les personnes qui ont déjà résisté à ma colère se comptent sur les doigts d'une main. Non, je ne plains pas les morts partis sans souffrir, par contre cela est une toute autre affaire pour le survivant.
 
Les mouvements me reviennent d'eux-mêmes. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, ma tête me fait mal mais je ne m'arrête toujours pas.

Les corps continuent de tomber et ma présence se renforce, bientôt il reste seulement deux résistants debout. J'évite de les regarder dans les yeux, mes nuits sont assez agitées à cause de cette erreur. Lorsque je ne connais pas mes victimes, c'est plus facile de les imaginer comme des machines du mal.

Ma dague se coince dans le cœur de ma dernière proie, je crois apercevoir un sourire de soulagement se dessiner sur son visage. Son corps faible m'interpelle, il devait avoir à peine quatorze ans. Mon coeur se serre. Qu'ai-je fait ?

Tu as fait ce qu'il fallait.

J'oublie aussitôt cette pensée. J'ai décidé de priver de la mort mon oncle. Il est le plus haut placé, il doit donc posséder des informations importantes. Ce choix n'a rien à voir avec mes sentiments.

- Nous voilà enfin tous les deux Pyrik. J'ose espérer que tu te trouves plus apte à discuter.

- Tout cela me prouve seulement que tu n'es qu'une satanée meurtrière contrôlée par ta mère. Même si tu t'efforces de penser le contraire.

Je sais ce qu'il compte faire, il veut me déstabiliser pour ensuite s'enfuir à toutes jambes. Très bien, il suffit de briser ses dernières.

Maintenant à genoux, il fredonne des prières dans sa barbe. N'a-t-il toujours pas compris que je suis bien la seule capable de le sauver ? Du moins, physiquement.

Je change d'avis, son sourire narquois me déplaît fortement.

- Ma déesse vient d'arriver, s'écrie Pyrik. Inclinez-vous devant sa sagesse.

Comment ça une déesse ? Tout ce que je vois c'est... une épée coincée dans mon abdomen.

Mince, il y a beaucoup trop de sang et ma tête commence déjà à tourner.

Ce n'est rien, je peux m'en sortir, je n'ai pas besoin d'aide même lorsqu'il s'agit de ma chère et tendre cousine. Une fois sa lame retirée de mon ventre, je m'autorise à me retourner.

- Un coup dans le dos ? Ça ne te ressemble pas Elisy.

Son visage est étrangement dépourvu de sourire, elle fixe mes yeux comme si c'étaient ceux d'un monstre. Elle qui se faisait un honneur de m'humilier dans nos entraînements, reste de marbre lorsqu'elle a l'occasion de fanfaronner. Il y a aussi ses yeux rongés par le sang, tous cela est très étrange...

- C'est ton échec et mat Monroe, ton heure est enfin venue. Tu peux toujours avouer ta défaite et rejoindre mon parti.

- Jamais ! Je ne laisserai pas la maison Saphir se vouer à sa perte. Tant que je serai vivante, ma famille durera.

- Mais de quelle famille parles-tu ? s'écrie Elisy. Celle qui te pousse à bout depuis tes huit ans sans se demander si c'est trop pour toi ? Celle qui a tué Enorama sans aucun scrupule ? Celle qui persiste à te voir comme un échec malgré tout ce que tu fais pour elle ? Ou bien celle que tu viens de massacrer pour la simple raison que tu ne partages pas leurs idées ? Enfin, cela ne devrait même plus m'étonner. Après tout, tu restes la machine à tuer de ta mère, un simple larbin.

- Ne fais pas ton innocente par pitié, tu sais très bien que ce projet va mener à une bien plus grosse effusion de sang.

D'ailleurs, le mien coule dangereusement vite. Ma main appuyée sur ma blessure ne sert plus à rien, il faut que je gagne du temps.

- Tu me déçois cousine, je reprends, tu n'as touché aucun organe vitale alors que tu les avais à disposition. Tu as préféré privilégier la discussion alors que ma mort aurait évité plein de problèmes. Tu t'adoucis.

- Il est vrai que si on s'était retrouvées là il y a quelques années, je ne t'aurais pas offert cette chance mais j'ai changé pour le meilleur et pour le pire, alors je garde espoir que tu apprendras de tes erreurs. Mais ça viendra avec le temps, d'ici-là j'ai encore une question plus importante à te poser. Tout le monde t'a abandonné, alors pour qui te bats-tu ?

- Pour l'héritage des Saphir, pour nos descendants qui marcheront sur nos pas et porteront le bleu fièrement. Le futur, c'est cela qui me pousse à avancer, l'honneur des Saphir est sacré et le restera durant de longues générations. Mais vous comptez briser le traité et réduire à néant notre famille. Je ne peux pas laisser passer cela en tant qu'héritière, alors oui je suis prête à me battre.

- Observes-les donc Monroe, lance Elisy d'une voix accusatrice. Tes victimes étaient loin d'être des monstres comme tu t'acharnes à te le répéter. C'était eux le futur. Celle-ci par exemple...

Je suis forcée à la regarder, cette femme devait avoir la trentaine tout ou plus. Son visage étendu sur le sol commence déjà à devenir translucide, j'aurais aimé qu'elle reste une inconnue.

Ressaisis-toi Monroe, elle voulait te détruire.

- Son nom est Cassie, ajoute-elle. Elle travaillait pour le compte de ta mère Elisabeth depuis son plus jeune âge mais en dehors de sa vie à la cour, elle est aussi une mère de deux jeunes enfants et une épouse chérie. Ses enfants, Lorien et Sophie, l'attendent impatiemment pour qu'elle vienne leur conter une histoire du soir. Mais elle s'est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment et désormais, ils l'attendront encore longtemps. L'homme dans le coin se nomme Ior...

Et ainsi, se prolonge la liste et je l'écoute malgré mes réticences.

Je me suis trompée, leur présence ici n'avait rien à voir avec moi.

Elisy connaissait tous ces morts et pourtant elle reste là à me raconter leur vie dans le plus grand des calmes. Ma concentration s'affaiblit, je ne pourrai pas tenir longtemps.

Tout ce que veut cette traîtresse, c'est de te faire perdre du temps. Tu dois te battre.

Mais comment ? Je suis trop faible. Elisy et Pyrik me surveillent sans relâche et même si j'atteins la porte, je devrais monter le long escalier en vitesse, ce que je ne peux pas me permettre. Non, il faut que je trouve une meilleure solution et que je le fasse seule.

- Enfin le dernier, Enne. Cet enfant qui avait à peine quatorze ans s'est engagé pour notre cause car il n'avait tout simplement aucune autre solution. Orphelin depuis ses sept ans, il lutte pour survivre sans aucune aide de la part de personne. Je l'ai trouvé l'année dernière et j'ai essayé de lui offrir le confort d'une vie noble. Ça n'a pas été suffisant pour le protéger.

Nous regardons ce jeune homme qui avait tout le monde à découvrir et dont j'ai brisé ses désirs ce soir. Ce n'était pas ce que je voulais.

- Il ne devait pas se trouver là, continue Elisy, pourtant il voulait aider ses sauveurs même si on ne lui demandait rien en retour. Il a payé le prix de son courage...

Que m'arrive t-il ? Est-ce la vie que je rêvais étant petite, celle d'une meurtrière ?

Relève toi mon enfant, montre-leur la force que tu t'es battue pour avoir. Tue-les tous.

Non, tu n'es qu'une illusion ! Sors de ma tête ! Je ne tiens même plus debout, je suis à l'agonie et je me bats contre mes propres pensées.

- Je n'ai pas besoin d'aide, je repète à voix haute cette fois.

- Nous avons un soigneur à disposition. Si tu nous rejoins, ton malheur sera fini.

- Non, vous continueriez votre erreur jusqu'à être rejeté par les autres familles. Une fois l'équilibre rompu, les trois maisons restantes se détruiront et ça se terminera par un massacre. Je suis au courant que ma méthode et loin d'être parfaite mais la vôtre l'est-elle ? La mort serait le seul répit durant cette guerre, crois-moi.

Je parle trop, ma salive me manque.

Défoule-toi sur eux, ils cherchent à te faire souffrir alors montre-leur qui tu es réellement.

Laisse-moi tranquille mère.

Je t'ai donné ce pouvoir, fais-moi honneur pour une fois, utilise-le.

- Non ! Pas ça...

Je déteste cette sensation, ce bourdonnement dans mes veines qui me rappelle ce que j'ai fait, cette nuit là, il y a dix ans.

Oui c'est ça, savoure la peur dans leur yeux, regarde-les se rendre compte de ta puissance.

- Tu recommences Monroe. Cette aura bleu... je t'en prie, arrête !

Je n'y arrive pas... c'est plus fort que moi, il ne demande qu'à sortir.

- J'ai...je bégaye à mi-mots, j'ai besoin d'aide.

Rien. Cette bête, comme je l'appelais autrefois, continue de m'envahir. Bientôt, il ne formera qu'un avec moi et là... Non, je ne laisserai pas ma mère le faire une seconde fois. Jamais plus.

- Je vous en supplie... AIDEZ-MOI !

Depuis combien de temps il m'espionnait, je ne pourrais le dire mais ça a dû être facile pour lui de me retrouver sachant qu'il contrôle les cœurs. Je suis dans ses bras et j'ai soudainement envie de... m'assoupir rien qu'un instant.

- Ce n'est pas possible, j'entends néanmoins ma cousine murmurer.