Saphir

26.

- Enorama a été une tante incroyable, commence Elisy. Elle t'a chérie et protégée jusqu'à sa mort comme Elisabeth ne l'aurait jamais fait, mais elle n'a jamais été une bonne mère. En fait, elle n'a jamais souhaité avoir d'enfant. Sa mort m'a énormément chamboulée, évidemment, mais j'étais encore plus attristée de te perdre.

- Pourtant tu es restée auprès de ma mère tout ce temps, me laissant seule. Tu sais que cette scène est mon pire cauchemar. Tu aurais simplement pu me la faire revivre avec ta magie.

- Voila longtemps que je ne l'ai plus utilisée, elle m'indique le visage fermé. Tu aurais pu le remarquer si tu faisais plus attention à moi. Vois-tu, c'est à cause d'elle que je suis... comme ça. Je l'utilisais comme bon me semblait jusqu'à tomber sur le cauchemar d'un Diamant. J'ai compris leur vision, Monroe ! Notre monde n'a plus de sens et même si je ne réussis pas à le détruire, d'autres s'en chargeront à ma place. Les gens comme moi qui savent la vérité ne peuvent pas faire autrement. Un jour, tu comprendras que c'est la seule solution.

- Et si il y en avait une autre qui éviterait la destruction de l'humanité ?

Je m'avance le plus doucement possible comme on le ferait avec un animal sauvage.

- Je ne sais pas quel est ton problème si important, je continue, mais le grand conseil a le pouvoir de faire changer les choses.

- Ils sont déjà au courant ! Il y a dix ans, les Diamant les ont avertis et certains en avaient perdu la tête mais la plupart n'avait rien fait car ça leur était égal. C'est à nous de faire bouger les choses. Et arrête-toi tout de suite, plus tu t'approches plus je les entends.

J'ai l'impression qu'elle repart dans sa folie, les mains dans ses cheveux. Elle n'était pas comme ça la dernière fois que je l'ai vue.

- Qu'est ce qui t'es arrivée lors de ton voyage ?

Plus rien, il n'y a plus un seul bruit aux alentours.

- Elisy ?

- Ne t'inquiète pas pour elle, déclare une voix au loin, elle est irrécupérable,

- Que faites-vous là, mère ?

- J'évite la catastrophe. Tu vois bien qu'elle n'est plus en état de participer à la société. Elle doit être exilée.

- Non ! hurle la concernée. C'est votre faute à vous tous, vous avez fermé les yeux et maintenant comment je fais pour vivre en sachant la vérité ?

- Je ne comprends pas, je réplique. Ce que tu as vu, c'est la fin du monde ?

- J'aimerais tant que ce soit ça, elle larmoie.

- Ce qu'elle a vu, la coupe ma mère, ce sont les peurs infondées d'un Diamant qui a vu sa famille au plus bas.

- Non Elisabeth, reprend Elisy. C'était la réalité, ce qu'il voyait au quotidien, ce qui nous entoure en ce moment.

- Nous avons assez parlé de ce sujet, revenons à ce qui m'intéresse réellement. La mise à mort des Émeraude.

- Je ne vous laisserai pas leur faire du mal, je déclare tout haut.

- Ah oui c'est vrai, tu fais partie de leur camp maintenant. Alors vas-y ma chère, tue-moi si tu le souhaites.

Elle se rapproche, assez près pour qu'un coup de mon épée lui sois fatale. Combien de fois j'ai rêvé de ce moment, d'avoir cette opportunité. Elle a détruit tellement de vies : celle de sa sœur, de sa nièce,... de sa propre fille.

- Monroe, m'ordonne ma mère, ne sois pas une lâche et vas-y. Je ne t'ai jamais vraiment aimé de toute façon. Tu étais mon héritière, pas ma fille, et maintenant tu n'es plus rien.

Ma lame est maintenant pointée vers elle. J'y suis presque et pourtant je suis si loin. Je n'y arrive pas, elle reste ma mère au fond de moi.
Mes bras retombent le long de mon corps.

- C'est bien ce que je pensais, pathétique.

Elle, n'hésite pas une seconde. Elle arrache mon arme de force et la place sous ma gorge.

- J'ai entendu votre conversation, dit-elle à ma cousine. Alors comme ça, tu m'as manipulée ? C'est drôle en sachant que c'est tout le contraire. Mon frère m'a rapporté tes projets, mon « dragon » est déjà en route pour tout détruire.

Je ne comprends pas le sens des mots qu'ils se disent mais Elisabeth a dû taper juste car le visage d'Elisy est en train de se décomposer à petit feu.

- Vous bluffez, elle assure.

- Ton plan était pourtant bon et tu as de la chance d'être tombée sur un scientifique tel que Pyrik. Je n'arrive pas à croire que tu l'aies vraiment fait mais je suis obligée de le supprimer.

- Vous ne comprenez pas... Même si vous gagnez cette partie ça ne servira à rien. Vous n'êtes pas comme Monroe, elle est l'héroïne. Vous, vous êtes comme moi, une antagoniste dont le seul but est d'être tuée.

Elles m'ont totalement oubliée dans cette conversation. Je pourrais en profiter mais ma mère me serre trop fort et, de toute façon, elle je ne tirerais aucun profit à m'échapper. Évidemment, je n'ai pas pensé à prendre une autre arme sur moi.

- C'est trop tard pour changer l'intrigue, elle continue, mais on peut encore changer la fin.

- Et je commencerai tout d'abord par éliminer ce que tu as mis tant de temps à construire.

- Jamais !

Le reste des événements arrive trop vite. Je ne sais pas si Elisy m'a réellement oubliée mais en tous cas, elle lance une dague en plein sur ma mère et, par conséquence, sur moi lorsque celle-ci me lâche.

J'entends un coup de feu et Elisy tombe à la renverse. Le dragon n'est jamais parti.
 
J'ai l'impression que mon cœur s'emballe et la peur me prend mais je me rends compte qu'il y a quelque chose qui cloche. Je n'aurais pas dû voir toute cette scène si nettement et mon cœur ne devrait pas battre si doucement. Le temps est comme arrêté. Ameer.

- Non, j'arrive à articuler.

Mais il est déjà devant moi, son léger sourire au lèvre mais sans l'étincelle dans ses beaux yeux.

Puis, le temps reprend son cours.

Je tombe en même temps qu'Ameer et le porte sur mes genoux. J'arrache la dague de son dos et presse la blessure, elle est empoisonnée.

- Ne t'inquiète pas, je murmure, tu vas t'en sortir. Il faut juste qu'on rentre chez nous, ce n'est pas très loin.

- Ro...

- Chut, ne parle pas, ça ne fera que te fatiguer.
On va se lever et aller voir un spécialiste, il saura te soigner.

- Regarde moi Ro ! C'est ma décision et seulement la mienne, je t'interdis de culpabiliser.

Les larmes coulent malgré moi, je comprends enfin ce que ça fait et le vide que ça provoque en soi.

- Ta sœur a besoin de toi...

- Non... Elle a besoin d'amour, ma mère et toi sauront lui en donner. Je n'avais pas ignoré l'éventualité de ma mort, je lui ai dit au revoir après le tournoi.

- Et qu'en est-il de moi ? J'ai besoin de toi, tu n'as pas le droit de m'abandonner.

- Je ne te quitterai jamais. Je serai toujours là, dans les étoiles

- Elles sont beaucoup trop loin.

- Alors je serai juste là.

Il porte sa main à mon cœur mais ce geste semble lui avoir coûté plus d'énergie qu'il s'y attendait et il lance une grimace qui me fend littéralement le cœur.

- D'accord... je lâche pour soulager sa peine. J'ai compris, tu peux te reposer maintenant.

- Merci... Au revoir Ro.

Je refuse de le dire, pas quand celui-ci signifie pour toujours.

Son cœur ne bat plus, mon âme-sœur vient de partir et mon pouvoir a été totalement inutile.

J'avais tort, il y avait bien une personne qui pouvait prétendre égaler un Dieu et il a été mien pour quelques temps.

Alors, je lâche toute la haine qui est en moi. Je me retrouve dix ans plus tôt à hurler jusqu'à ce que ma voix me lâche. Mon cœur est brisé, envolé dans les étoiles. Il m'avait promis d'être là pour me calmer mais il a menti.

Je perds tout contrôle de mon pouvoir et me laisse guider par mon chagrin. Je n'ai pas envie de me relever et d'avancer. En ce moment, je n'ai pas envie d'aller mieux mais juste de revivre tous nos moments passés, d'avoir une nouvelle chance car lui, est parti pour de bon.
C'est toujours le même refrain, la bonne personne mais pas assez de temps.

- Ne me fais pas honte Monroe, me gronde ma génitrice, ton agitation va les faire arriver. Lève-toi.

J'aurais aimé dire que je refuse mais en réalité je lui obéis, je n'ai plus la force de me battre.

Plusieurs personnes sont effectivement en train d'arriver pour voir la cause de cette lumière aveuglante. Parmi eux, les membres du conseil. Ils n'auraient pas dû arriver si vite. J'ai perdu le contrôle du temps.

- Mon fils !

Je n'ai pas le courage de regarder Yrena s'allonger autour de son fils et se rendre compte qu'il est déjà trop tard.

- Toi ! elle reprend me montrant du doigt. Tu l'as tué alors qu'il te faisait confiance. Je pensais qu'il disait vrai quand il affirmait que tu n'étais pas comme les rumeurs le laissaient penser.
 
J'ai encore l'arme ensanglantée dans ma main, je ne m'en étais pas rendue compte.

- Je suis...

Une claque me semble qu'une infime punition alors que son fils vient de mourir par ma faute. Enfin, elle m'aurait peut-être tuée si d'autres Saphir ne l'avaient pas arrêtée.

Je sais qu'Elisabeth est en train d'inventer une excuse en disant qu'Ameer avait assassiné Elisy sans raison et que je l'avais donc vengée mais j'écoute à peine ses paroles. Mon esprit est trop embrumé pour rester concentré.

Je n'écope d'aucune peine car j'ai été punie assez longtemps pour le meurtre d'un seul mortel et que ce crime n'est pas majeur : Dalyna étant née, la lignée Émeraude n'est pas mise en danger. J'ai même récupéré mon titre d'héritière car Elisy n'est plus. Ils me dégoûtent tous d'avoir conclu ce raisonnement.

Avant de partir, ma mère me chuchote à l'oreille que son plan est simplement retardé mais cela n'a pas d'importance pour moi. En ce moment, plus rien n'a d'importance.

J'ai besoin de mon chez moi, de ressentir son odeur. Je cours mais je ne vais pas assez vite. Et si... Mon esprit est rempli de « si ». J'ai bien réussi à le faire disparaître de nombreuses fois, ça devrait être facile de le faire réapparaître, rien qu'une fois.

Je traverse la maison à grands pas pour me réfugier dans l'atrium, il est là.

Il est si beau, habillé dans son meilleur complet. J'en étais sûre, tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Je lui prends la main qu'il me tend mais je ne rencontre que de l'air, il disparaît. Ce n'est pas grave. Il est revenu, cette fois assis sur l'herbe, heureux, mais je fais l'erreur de m'approcher de trop près. Il me laisse tomber encore une fois.

Non ! Il est encore là, un peu partout mais il est là. Je reconnais chaque trait de son visage, sa posture, son expression qu'il arbore lorsqu'il me regarde. Je le connais par coeur, c'est forcément lui.
 
Je veux le rejoindre mais je me perds dans mes pas. Vous comprenez ? J'ai de la chance, il y a tellement de versions de mon amour. Je choisis pourtant ma préférée, il est en train d'admirer sa nouvelle bague alors qu'il est appuyé sur le kiosque. Soudain, il me regarde droit dans les yeux. C'est le seul à l'avoir fait mais sa tête est maladive.

- Laisse-moi partir, il me supplie.

- Non... pas une nouvelle fois.

- Je ne suis pas réel Ro, il faut que tu protèges ma sœur.

Alors, contre mon gré, je le laisse s'en aller encore une fois, le transformant en des milliers d'étincelles s'envolant vers leur nouvelle maison là-haut. Il est mort et moi je vis encore, le sort est injuste.

Je m'écroule une deuxième fois et tout cela à cause de celle que je pensais être ma mère. Elle a détruit ma vie.

J'en ai plus qu'assez de faire ce qu'elle attend de moi. Je ne pourrais pas la supporter plus d'une semaine.