Chapitre 17 - Présent

65 8 0
                                    

Soit disant que pour maintenir une bonne relation avec les gens, il faut parler. Aujourd'hui, je m'aperçois que c'est vrai. C'est ce qui a causé notre rupture il y a cinq ans, avec Harry. À force de refuser ce qui peut sembler être des évidences, on remarque que les mots semblent disparaître. Alors on se retrouve là, on ne sait plus quoi dire, on perd nos mots, ils s'enfouissent et chaque fois qu'on veut les ressortir, on se rend compte qu'ils sont trop loin pour qu'on puisse ne serait-ce que les effleurer. Je m'en rends compte encore aujourd'hui. Quelques fois, alors que j'ai un mot au bord des lèvres qui ne demande qu'à sortir, c'est comme s'il était encore enchaîné au plus profond de mes entrailles. Des chaînes qui l'empêchent de sortir comme celles qui m'empêchent de parler.

    Une ressemblance qui existe entre ces chaînes est qu'elles ne sont pas matérielles. En apparence, je suis libre de mes mouvements comme de mes paroles. Mais les « N'en parle pas », « Tu parles trop fort, baisse d'un ton », signifiant qu'on pourrait nous entendre, « Tu exagères toujours tout », « C'est faux. ». Tous ces mots. Comment parler quand on nous apprend que le moindre mot sortant de notre bouche peut être décrédibilisé en une fraction de seconde ?

    Je crois qu'on peut dire que l'étang est redevenu notre lieu. Nous nous y retrouvons souvent. Que ce soit Harry qui m'y rejoigne, ou l'inverse, généralement, nous y sommes souvent. C'est encore le cas ce soir. Je m'avance à travers les hauts arbres qui me voient passer pour la énième fois depuis que j'ai posé un pied ici pour la première fois. Il pleut aujourd'hui. Pourtant, Harry est là. Sans parapluie, évidemment.

« Hey. »

    Il se tourne vers moi, me souriant légèrement, mains dans les poches, pieds pendant au-dessus du vide, les cheveux aplatis sur le crâne. Je ne pense pas me tromper en disant que ça fait un moment qu'il est là.

« Salut. »

    Sa voix n'est pas forte. En tout cas, pas suffisamment pour couvrir la bruit de la pluie en fond. Je ne fais qu'entrevoir le mot sur ses lèvres.

« Tu ne veux pas qu'on décale chez moi ou chez toi ? Tu vas attraper la mort à rester là. Tu es déjà détrempé. »

    Il hausse les épaules et repasse ses jambes de mon côté du pont. J'ai presque l'impression de le revoir quand nous étions adolescents. Il ne porte pas de manteau. Avril ne te découvre pas d'un fil. Harry n'a pas dû entendre souvent cette expression. Je lui dis de retirer son pull qui ne ressemble à rien d'autre qu'une éponge imbibée d'eau, retire ma veste et la lui tends.

« Tu vas avoir froid. » rétorque-t-il.

« Et toi tu vas encore attraper froid. Alors tu enfiles ma veste. »

    Il me remercie à mi-voix. L'enfile. Personne ne fait de remarque sur le fait qu'elle est légèrement trop petite pour lui. Nous nous rendons en silence à ma voiture.

« Tu es venu à pied en plus ? » je l'interroge, conscient qu'il pleut depuis un moment.

    J'avais juste prévu de faire le tour de l'étang et de rentrer, aujourd'hui. Harry a haussé les épaules. C'est vrai que maintenant que j'y repense, je ne pensais pas le trouver là puisqu'il n'y avait pas une seule voiture quand je me suis garé.

    J'ai bien veillé à ce que le parapluie le couvre plus lui que moi. S'il se sent bien ce soir, c'est qu'il a une sacré bonne santé. Même en bonne santé beaucoup seraient tombé malade, lorsqu'on voit les cordes qui s'acharnent à frapper les graviers que les arbres, de leur hauteur, tentent de protéger.

    Une fois installés dans la voiture, je lui demande s'il préfère rentrer chez lui ou qu'on aille chez moi. Nouveau haussement d'épaules. Alors je conduis calmement jusqu'à chez moi. La tête de Harry est posée contre la vitre, ses cheveux gouttent, mouillant mes vitres. Heureusement que je ne tiens pas particulièrement à mes sièges, certains auraient refusé qu'il s'asseye aussi trempé que ça dans leur voiture.

Avec un titre [L.S]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant