Prologue

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"Hey toi !"

Je me retourne. La petite ruelle que j'ai emprunté est sombre, à peine éclairée par le croissant de lune qui se cache dans le ciel. Mais ce n'est pas un problème pour moi. Je distingue parfaitement la jeune fille qui vient de m'interpeller.

Elle doit avoir dans les vingts-ans.
Ses cheveux blonds sont relevés en un chignon soigné dont quelques mèches s'échappent comme pour démentir le soin avec lequel il a été fait. La courte robe noire qu'elle porte découvre des jambes fuselées et une physionomie gracile, réhaussée par des talons d'une hauteur vertigineuse. De fins traits noirs courent autour de ses yeux, accentuant le bleu profond de ses iris.

Elle est jolie, incontestablement. Et imprudente.

Je lui adresse mon sourire le plus affable tandis qu'elle s'avance vers moi. Sa démarche est hésitante, presque maladroite. Deux fois elle manque de buter sur un des pavés de la ruelle mais je reste à ma place. Sagement.
Enfin elle parvient à ma hauteur.

- Tiens, dit-elle en me tendant un petit objet, tu as fait tomber ça.

C'est une montre argentée dont le cadran, légèrement bombé, présente une fissure. Ma montre.
Je retrousse ma manche droite pour la replacer. Le fermoir du bracelet émet un cliquetis quand il se referme.

- Merci. J'y tiens beaucoup, dis-je en accrochant son regard. Ses paupières battent plusieurs fois et j'entends son rythme cardiaque s'accélérer.

Je l'intimide et elle n'a pas l'habitude d'être intimidée. C'est elle qui a ce rôle normalement, je peux le deviner à sa manière de se tenir. Assurée et un peu hautaine, consciente de sa beauté qui doit d'ordinaire la placer d'office en position de force auprès de la gente masculine. Mais pas avec moi.
Au bout de quelques secondes néanmoins elle parait retrouver son assurance et me tend une main.

- Moi c'est Katty.

Je serre à peine sa main mais elle frissonne quand même au contact glacé de la mienne.

- Alec.

- Et tu habites ici, Alec ? Parce que je suis sûre de ne jamais t'avoir vu. Je l'aurais remarqué, ajoute-t-elle avec un petit rire équivoque.
J'adorerais rougir pour compléter ce charmant tableau mais j'en suis incapable. À la place j'esquisse une moue timide, parfaite pour le rôle du jeune homme flatté mais réservé.

- Non. Je visite la ville.

C'est un demi-mensonge. Ou une tournure de phrase maladroite, tout dépend du point de vue. Je fais effectivement du tourisme mais d'un genre un peu particulier.

- Je peux te faire visiter si tu veux, me propose-t-elle avec un enthousiasme effrayant, je connais les moindres recoins de cette ville.

- Maintenant ? Je fais mine de m'étonner. Il n'est pas trop tard ?

- C'est encore plus beau de nuit, m'assure-t-elle en balayant mon interrogation d'un geste résolu. À moins que tu ne sois pressé ?

Je secoue la tête et elle frappe dans ses mains.

- Alors c'est réglé, je suis ta guide officielle pour cette nuit.

Sonner les trompettes, la visite commence.

- Tu fais ça souvent, je l'interroge tandis que nous marchons, je veux dire guide nocture de parfaits inconnus ?

Elle me fait un clin d'oeil : "Ça dépend des inconnus."

- Mais ce n'est pas un peu dangereux, je m'enquiers la candeur même, je pourrais être un psychopathe ou un serial-killer qui sait ?

Cette fois elle éclate de rire et celui-ci se répercute sur les murs de pierres qui nous entourent.

- Non Alec, tu es trop beau pour être un serial-killer !

C'est de loin la chose la plus stupide que j'ai jamais entendu mais je fais mine de rire à mon tour.

Nous continuons à parler ou plutôt Katty continue à parler pendant que nous marchons. En quelques minutes elle me dresse un portrait de sa famille, de ses amis et de son adorable teckel Scotty. J'apprends aussi qu'elle est en deuxième année de droits et qu'elle ambitionne d'être avocate internationale, son rêve depuis toute petite. (Charmant, absolument charmant.)
Mais la conversation atteint son apogée quand de manière plus ou moins subtile elle introduit le fait qu'elle est célibataire. En gentleman je feins l'étonnement et ses joues prennent une teinte rosée.

En bref, notre dialogue est passionnant.

Si ça ne tenait qu'à moi je l'aurais poursuivi encore un peu. Malheureusement Katty décide de quitter notre petite rue pour rejoindre l'avenue principale. Je m'arrête aussitôt.

- Alec, qu'est-ce-que tu fais ?

- Je ne peux pas.

"Tu ne peux pas." Répète-t-elle en revenant vers moi. Pourquoi ?

- Parce que, dis-je calmement, malgré l'heure tardive je suis sûr qu'il y aura encore des gens sur l'avenue.

- Et alors, rétorque-t-elle en arquant un sourcil.

- Et alors je ne veux pas de témoins, je réponds. Ça fait toujours plus de monde à tuer et ce soir je n'ai pas le temps.

Sur son visage l'incompréhension cède la place à la panique. De la panique pure. Si intense qu'elle forme un halo autour de son corps. C'est magnifique.

- Alec, qu'est-ce-que tu...?

Son cou émet un craquement quand je le brise et son corps s'affaisse, pareil à une marionnette dont on aurait coupé les fils. Je la rattrape avant qu'elle ne glisse au sol.
Je sens mes canines s'allonger jusqu'à devenir assez effilées pour transpercer sa jugulaire sans effort. Contrairement à certains de mes confrères je n'éprouve pas le besoin de mutiler mes victimes. Une morsure suffit.

Une morsure et le sang s'échappe par flots continus. Une morsure et mes forces décuplent.

Je laisse le corps de Katty par terre. On la trouvera ça ne fait aucun doute mais malgré les preuves accablantes personne ne se risquera jamais à dire que c'est l'oeuvre d'un vampire. Les vampires ne sont qu'un mythe, n'est-ce-pas ?

Et il y a déjà tellement d'autres monstres humains, dehors.

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant