Chapitre 16 : A et B

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Si ça ne tenait qu'à moi je partirais immédiatement mais Paul insiste pour que j'attende une heure plus adéquate.

Qui a dit que trois heures du matin n'était pas une heure convenable pour rencontrer quelqu'un ?

M'installant confortablement dans l'un des fauteuils du salon je ferme les yeux, laissant à Morphée le soin de faire son travail. En vain. Ni elle ni le Marchand de Sable ne parviennent à me transporter au Pays des Rêves. Compter et égorger les moutons n'aidant pas non plus je me rabats sur le livre que Chloé a déposé à mon attention sur le premier rang de la bibliothèque.

Les premières pages ne m'inspirent rien de plus qu'en ennui profond. Jusqu'à ce que le beau et juvénile Dorian Gray devienne un monstre de cruauté, galvanisé par l'opportunité de se plonger dans le vice corps et âme en toute impunité.

Quelle histoire captivante, Dorian Gray aurait fait un merveilleux vampire.

Évidemment pour une fois que je trouve quelqu'un intéressant il faut qu'il soit fictif. C'est dire à quel point l'humanité est ennuyeuse.

Je poursuis donc ma lecture pendant que le reste de l'appartement profite du sommeil que je ne trouve pas, savourant à la place le déroulement de l'existence débauchée mais autrement plus amusante de mon nouvel ami de papier.

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"Je savais qu'il te plairait." Sourit Chloé en entrant dans la pièce quelques heures plus tard.

Le salon baigne maintenant dans une lumière diurne et dans les rues, moteurs et klaxons entament leur bruyante routine. Il ne manque plus que le chant des oiseaux et l'insupportable orchestre est au complet.

- Je n'ai même pas vu le temps passer, je reconnais en détendant mon corps dont chaque muscle semble s'être coincé dans un bloc de ciment. Si Oscar Wilde n'était pas mort je lui aurais envoyé une carte de remerciements.

Un pli soucieux apparait sur le visage de Chloé.

- Tu n'arrives pas à dormir ?

Je secoue la tête plusieurs fois de gauche à droite : "Paul a oublié de me chanter une berceuse."

- J'attends une heure adéquate, je rectifie en gardant mes explications pour moi. Je soupçonne son frère jumeau de lui avoir déjà parlé de l'inconnu et de l'adresse.

- Je suis contente pour toi Alec, répond-elle sans l'ombre d'une hésitation et mes soupçons se confirment. J'espère vraiment que tu trouveras des réponses.

- J'espère aussi.

Puis sans réfléchir, ni même sans avoir autorisé mon subconscient à se manifester, j'ajoute : "Mais il y a autre chose."

- Autre chose, répète-t-elle interrogatrice, en venant s'asseoir sur le canapé devant moi les jambes en tailleur et les bras croisés sur la poitrine.

- Cette "autre chose" est une hypothèse, bien sûr. Du conditionnel. Une mise en situation purement théorique. Fictive. Imaginaire.

- D'accord, opine-t-elle, l'air un peu perdue. Je t'écoute.

- Supposons qu'un individu A, vampire, dis-je en dessinant deux petites canines triangulaires dans les airs, rencontre un individu B, humain. Et que pour des raisons C, D, E, F et G, l'individu A ait épargné l'individu B qui sait donc maintenant que l'individu A est un vampire. Quelles sont ses chances d'échapper aux ennuis ?

"Est-ce-que j'ai mentionné que l'individu B était une fille ?"Je demande pour combler le silence dans lequel Chloé se mure à la fin de mon explication mais à mon grand étonnement, il y a plus de stupeur que de colère et de panique dans sa voix quand elle reprend la parole :

- Tu l'as laissé partir ?

- Hmm, je préférerais qu'on s'en tienne aux lettres. L'individu A l'a laissé partir.

Peut-être que Monsieur X aurait été plus crédible, je songe en soutenant son regard sceptique.

- Ça ne ressemble pas à l'individu A d'épargner quelqu'un, commente-t-elle finalement. Mais si je devais lui donner un conseil, je lui dirai de retrouver cette fille et de faire attention. Qui qu'elle soit elle représente une menace pour lui, autant qu'il représente un danger pour elle.

- Une petite menace alors. Elle doit à peine mesurer plus d'un mètre soixante.

- Je ne cherche pas te à faire la morale, Alec, m'assure-t-elle doucement. Ce sont des choses qui arrivent. Ça m'est arrivé une fois.

- Paul, je murmure et elle acquiesce sans me regarder, plongée dans ses propres souvenirs.

- Le pire dans ma transformation n'a jamais été le besoin constant de sang, ni le désir de tuer. Mais de regarder ceux que j'aimais devenir de plus en plus vulnérables avec le temps. Grandir, vieillir. Et mourir. Je savais que je ne supporterai pas de perdre Paul aussi, alors je l'ai transformé malgré les risques et tout ce que ça impliquait. Les actes faits par amour sont souvent les plus égoïstes et je n'ai pas dérogé à la règle, conclut-elle avec une pointe d'amertume.

- Malheureusement, je n'ai même pas cette excuse, je rétorque ignorant l'échos que trouvent ses paroles dans mon esprit. C'était une parfaite inconnue.

- Pourquoi l'épargner alors, s'enquiert Chloé et peinant encore une fois à trouver une explication logique à cette question pourtant si simple, mes pensées s'emmêlent davantage.

Une chose est sûre ce n'était pas de la pitié, ou une brusque réminiscence de ma sensibilité enterrée depuis des décennies. Mes canines s'en souviennent encore, je voulais la mordre.

Une dizaine de minutes s'écoule avant que je parvienne à formuler une réponse que je ne comprends pas moi-même :

"Parce qu'elle était différente."

De toute évidence mes deux hémisphères cérébraux ne communiquent plus.

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Seizième chapitre publié avec un peu plus de retard que prévu, j'espère qu'il vous a plu! Le prochain est déjà en cours d'écriture, je pense (j'espère plutôt) qu'il ne vous décevra pas! ;)

Encore une fois merci pour vos votes, vos commentaires et vos messages, vous êtes sans conteste les meilleurs lecteurs dont on puisse rêver ❤️

Mention spéciale à Doucinp , mon meilleur ami dans la vraie vie, qui me supporte aussi bien que Paul et Chloé supportent Alec. Je sais que c'est dur. Merci d'être là toujours, tout le temps. ❤️

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant