Chapitre 7 : Autoportrait

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Je me réveille quelques heures plus tard, parfaitement reposé.

Et assoiffé.

Des petits picotements courent le long de ma gorge, provoquant comme une brûlure. Pour l'instant, la sensation sans être agréable est supportable mais je sais qu'elle ne va pas tarder à devenir intolérable si je ne l'étanche pas.
Ding, dong, l'heure du petit déjeuner a sonné.

Je jette un oeil à mon reflet dans le miroir avant de quitter la chambre. Magnifique. Malgré la soif qui creuse légèrement mon visage, j'ai l'air en pleine forme.
Je pourrais maintenant en profiter pour me décrire mais je ne suis pas vraiment adepte des descriptions physiques.
De toute façon, ce qui compte c'est la beauté intérieure, n'est-ce-pas ? La pureté de l'âme, les valeurs de coeur, les...Blablabla.

Heureusement pour moi donc, j'ai hérité d'un physique agréable. Je suis grand et mince, j'ai des cheveux bruns, un nez et une bouche. Mes yeux ne sont pas mordorés, ni mêmes verts émeraudes ou bleus azurs. Ils sont marrons foncés. Si foncés qu'on distingue à peine la pupille de l'iris.

Voilà. Fascinant.

Paul est déjà parti. Chloé en revanche est attablée dans la cuisine, la tête plongée dans un livre dont le papier légèrement jauni crépite lorsque ses doigts se posent dessus.

- Au chapitre 13, le gentil meurt, dis-je en prenant place sur une chaise en face d'elle.

Elle relève le menton, une expression amusée sur le visage.

- Raté, il n'y a pas de gentil. En fait le héros est même l'incarnation de la méchanceté et de la cruauté.

- Vraiment ?

Refermant son livre d'un geste vif, elle le fait glisser vers moi. Je tourne la couverture de manière à pouvoir lire le titre qui s'y étale en lettres dorées. Le portrait de Dorian Gray.

- Il te plairait, commente-t-elle d'un ton léger.

- Parce que je suis méchant et cruel, je demande, faussement blessé.

- Entre autres, réplique-t-elle avec un sourire mutin.

Je fais mine de lui rendre l'ouvrage mais elle secoue la main :"Tu peux le garder, je l'ai déjà lu de toute façon."

J'hésite quelques secondes avant de le reposer près de moi. Je n'aime pas lire. D'une part parce que la vie des gens, qu'ils soient réels ou fictifs, m'indiffère. D'autre part parce que je trouve le massacre de toutes ces petites familles arbres absolument révoltant.

Mais c'est un cadeau de Chloé, et au milieu des méandres égoïstes de ma conscience, une petite voix me souffle de ne pas lui faire de peine.

- Au fait, reprend-elle sans me laisser de temps de la remercier, Paul m'a parlé de ta théorie.

- Je sais, je sais, je grommelle, il faut y réfléchir calmement.

Elle acquiesce, ses doigts pianotant sur la table au rythme de sa réflexion.

- L'hypothèse qu'un vampire ait la capacité de détecter les individus aptes à être transformés me parait improbable. Mais après tout d'un point de vue rationnel, notre existence l'est aussi. Et peut-être que notre nature est encore plus complexe qu'on ne l'imagine.

Je me redresse sur ma chaise, nettement plus alerte, tandis qu'elle poursuit.

- En tout cas, c'est quelque chose en laquelle je peux croire. Alors si je peux t'aider je le ferais, et Paul aussi bien évidemment.

- Merci Chloé, dis-je, un peu d'aide ne sera pas de trop quoique sans me vanter, je pense qu'aucune vengeance n'a jamais été aussi bien préparée que la mienne. Le seul problème maintenant c'est de le retrouver.

- Tu le retrouveras, m'assure-t-elle avant de marquer un temps d'hésitation. Mais Alec...

- Oui ?

- Ça ne les ramènera pas, tu le sais, n'est-ce-pas ?

Aïe.
C'est tout Chloé de faire ça. Énoncer l'évidence que personne ne veut entendre. Celle qui fait un peu mal. Celle qui me donne envie de me boucher les oreilles en chantonnant.
Mais je ne le fais pas parce que je suis un adulte. Mature. Posé. Raisonnable.

- Crois-moi quand j'en aurais fini avec lui, personne ne le ramènera non plus, j'élude tout en chassant les souvenirs que son affirmation a fait renaître.

- Et après, me demande-t-elle.

Je la regarde, étonné. "Après, quoi ?"

- Qu'est-ce-que tu feras après l'avoir tué ? Une fois qu'il n'y aura plus personne à venger ni dont te venger ?

- Hmm, peut-être une reconversion dans l'humanitaire, je réponds le regard dans le vague et le menton posé entre mes mains en coupe. Ou psychotérapeute.

Pendant quelques secondes elle parait sur le point d'ajouter quelque chose mais elle se ravise. Peut-être que mes projets futurs ne l'ont pas convaincu...

- Sois prudent, Alec, finit-elle par lâcher. Quoique tu fasses, d'accord ?

- Je serais la prudence même, je lui assure en me levant. Comme toujours.

Un sourire étire ses lèvres : "C'est bien ce qui me fait peur."

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant