Chapitre 17 : Dylan (partie 1)

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Grâce au ciel, Chloé ne me demande pas d'expliciter mon affirmation. De toute façon je serais bien incapable de le faire.

Parce qu'elle était différente.

Quelle phrase stupide.

"Qui est différente ?" Demande la voix de son frère jumeau qui apparait comme par magie.

- Notre conception d'une heure décente, je réponds. Et celle du Bien et du Mal.

Paul se tourne vers sa soeur : "Il n'a pas dormi ?"

Chloé secoue la tête.

- Surtout faites comme si je n'étais pas là, je marmonne.

Paul rit et dépose ce qu'il tient entre les mains. Trois tasses et une bouteille dont le contenu pousse mes canines à s'allonger.

- Bois Alec, m'intime Paul. Te laisser à jeun est une aussi mauvaise idée que de te priver de sommeil.

- Sans façon, je décline. Je préfère boire à la source.

Le sang en bouteille a beau être gracieusement fourni par le patron du Sanguinaire, je doute que son entreprise soit destinée à faire baisser le taux de mortalité de Blue Springs. Plutôt un moyen d'élargir la clientèle.

Désolé, ces tentatives de manipulations commerciales ne marchent pas avec moi.

- Comme tu veux. Je vais me préparer, alors. On pourra partir ensuite.

- Prends ton temps, je le rassure. Ça ne fait que sept heures que j'attends.

Il repart en sens inverse tandis que Katty pénètre à son tour en étouffant un bâillement. Je la détaille, intrigué par sa tenue. Le tee-shirt qu'elle porte s'arrête à mi-cuisses, dévoilant ses jambes nues. Le reste de sa silhouette est camouflé sous une largeur de tissu suffisante pour y rentrer un enfant et ses six frères et soeurs. Ce tee-shirt n'est certainement pas le sien.

- Est-ce-que tu portes le tee-shirt de Paul ?

- Oui, je...nous..., bafouille-t-elle comme surprise par mon interrogation. Tous mes hauts sont à la machine à laver.

- Bien sûr, lui répond Chloé en la gratifiant d'un sourire amusé et les deux filles échangent un regard de connivence que je n'essaye même pas de comprendre.

- Tu aurais mieux fait d'en emprunter un à sa soeur. Il te va très mal, je lui fais remarquer en lui lançant une tasse qu'elle rattrape avec une dextérité toute vampirique.

- Merci pour tes précieux conseils, Alec, répond-elle en versant son petit déjeuner dedans. Puis, d'un pas joyeux, elle repart vers la salle de bain.

"Quoi ?" Je demande à Chloé qui me fixe par-dessus sa propre tasse.

- Parfois Alec, dit-elle, je me demande dans quel monde tu vis.

Et elle se met à rire.

************************

Je dois admettre que je ne m'attendais pas à devoir traverser tout Blue Springs pour rencontrer notre inconnu. Ni à ce que l'adresse inscrite sur la serviette en papier nous mène à une impasse.

Littéralement.

Assaillie par les hautes herbes et dissimulée derrière un grillage en fer blanc, la structure bitumée qui nous fait face ressemble davantage à un bunker qu'à une résidence permanente. Pour ajouter au charme et à l'attrait de l'endroit, deux panneaux "Défense d'Entrer" encadrent les battants blindés qui font office de portail.

L'être qui vit ici a clairement des difficultés à s'ouvrir au monde extérieur.

Paul parcoure quelques mètres supplémentaires le long de la cloture à la recherche d'un moyen de pénétrer avant de revenir sur ces pas, l'air ennuyé :

- À moins d'escalader, je ne vois pas comment nous pourrions rentrer.

-Essaye ça, je suggère en désignant le minuscule bouton situé tout à droite du portail. Je ne suis pas contre l'idée de rentrer par effraction mais il me semble que les gens aiment que l'on appuie sur leur sonnette. Tu sais, pour les prévenir.

Paul me regarde, pousse un long soupir et s'exécute, vaincu par mes connaissances de la bienséance. Comme toujours.

Une plainte stridente s'élève presque aussitôt de l'intérieur de l'habitation. Bien loin de raisonner comme un agréable carillon, le son explose mes tympans, réduisant momentanément mon ouïe à une chuintement cotonneux.

Un homme en combinaison de travail semblable à celle des ouvriers vient nous ouvrir. L'aspect global qui se dégage de sa personne est à peu près aussi avenant que le territoire dont il est probablement le propriétaire.

Une énorme cicatrice traverse la moitié de son visage, renforçant l'aspect menaçant de sa figure burinée. Régulièrement, un mouvement incontrôlé force sa paupière gauche à s'abaisser, sans cependant altérer en rien l'intensité froide de ses iris bleues claires. Sa physionomie, figée par la transformation, est celle d'un homme d'une cinquantaine d'années, robuste quoique légèrement trapue. Coupé à ras, ses cheveux ou ce qu'il en reste tendent vers une teinte poivre et sel identique à celle qui colore sa barbe de quelques jours.

Son regard fait la navette entre mon meilleur ami et moi sans laisser transparaître la moindre surprise :

- Lequel de vous deux est Alec ?  

Je lève la main avec fierté.

- Je m'en serai douté, marmonne-t-il d'une voix rocailleuse, puis nous invitant à le suivre, il se retourne pour emprunter le chemin qui remonte vers la bâtisse. Faites attention au chien.

Le chien en question est un grand berger allemand, maintenu par une longue chaîne reliée à un piquet solidement planté dans le sol. Ses babines se retroussent légèrement quand nous passons devant lui, laissant échapper un grondement qui n'effraie personne. D'un ordre notre hôte l'intime au calme et le molosse se rallonge. Je me demande quelle utilité un chien peut avoir pour un vampire. Mise à part servir de nourriture en cas extrême.

Parvenus au bout de l'allée, nous pénétrons enfin dans son sanctuaire.

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant