Chapitre 9 : "Pas de pieu en plein coeur, c'est affreusement cliché."

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Lorsque je réouvre les yeux, je suis assis sur un fauteuil dans la chambre de Paul. Et vivant.
Il faut croire que la Mort ne veut pas de moi.

Je passe une main sur mon tee-shirt, là où il a été déchiré. Contrairement au tissu la chair s'est reformée sans laisser de cicatrices. Pas même une petite plaie. S'il n'y avait pas cette légère douleur au niveau de la poitrine, j'aurais pu penser que je m'étais simplement endormi. Comme pour contredire mes pensées, j'aperçois un morceau de bois posé sur la table de chevet. Je tends le bras pour l'attraper. Il est grossièrement taillé mais suffisamment aiguisé pour transpercer un corps. Par exemple.

Les évènements de la veille me reviennent alors par bribes. La petite place. Les jeunes mariés. Le Polaroid. Le sang. Les cris de la jeune fille. Puis l'appartement. Le silence. L'intrus.

Katty.

Je me relève prestement. Quelque chose me dit que j'ai des ennuis.

Et qu'il est temps d'aller les régler.

Les bruits de conversation m'amènent jusqu'au salon mais je m'arrête dans l'embrasure de la porte. Il doit y avoir une erreur.
En utilisant le terme "ennuis", je ne faisais certainement pas référence à Paul, Chloé et Katty discutant ensemble. Je dois même avouer que leur association me contrarie un peu, étant donné que la nouvelle venue vient de tenter de me tuer. Ils pourraient au moins venger mon honneur à défaut de venger ma mort.

Ils se retournent tous les trois avec une telle synchronisation qu'on dirait une mise en scène. Deux visages sur trois expriment le soulagement. Le troisième est un savant mélange de haine et de rage. Petit indice ce n'est ni celui de Paul ni celui de Chloé.

- La prochaine fois que tu essayes de tuer un vampire, je lance à l'adresse de Katty, vise le visage. Mais pas de pieu en plein coeur, c'est affreusement cliché. Et pathétique.

Avec une rapidité étonnante elle bondit sur moi, ses yeux bleus brillant d'une lueur hargneuse. Paul la ceinture juste avant qu'elle ne m'arrache un membre. Ou pire.

- Tu veux que je te montre, je m'encquiers en faisant tournoyer l'épieu entre mes doigts.

Paul grimace sous les assauts répétés de la furie blonde pour se dégager et les efforts qu'il doit fournir pour contenir la force spectaculaire de Katty ne font que confirmer mes soupçons.
Chloé pose ensuite une question silencieuse à son frère qui répond par un hochement de tête contrarié.

- Recule Alec, m'enjoint-elle d'une voix calme. Il faut que que tu saches...

Je sais déjà ce qu'elle va dire mais je la laisse finir. Parce que c'est son rôle d'énoncer les évidences que personne ne veut entendre.

"Tu l'as transformé, Alec."

Je m'appuie sur un pan de mur. Le hasard fait vraiment mal les choses. La probabilité de transformer quelqu'un est si faible qu'aucun vampire n'y pense réellement lorsqu'il se nourrit. C'est anecdotique. Du moins ça l'était pour moi jusqu'à aujourd'hui.

Le silence qui s'est installé est pesant. Même Chloé semble mal à l'aise. Je la vois croiser et décroiser les jambes tandis qu'elle observe Paul en train de maintenir Katty dont la vigueur ne faiblit pas.

- Vois le bon côté des choses, tu auras toujours...quel âge, vingt ans ?

Un flot d'insultes accueille ma remarque. Les nouveaux-nés sont tellement susceptibles.

- Pourquoi est-ce que tu as fait ça, hurle-t-elle, je ne te connais même pas !

- Désolé, dis-je en haussant les épaules, je ne choisis pas ceux que je transforme. Crois-moi si j'avais eu le choix, j'aurais mordu Albert Einstein ou Jimi Hendrix mais certainement pas quelqu'un qui propose ses services de guide à un parfait inconnu.

"Alec, tu n'aides pas." Me réprimande Chloé d'un air contrit mais Katty a cessé de se débattre. Ses mains tremblent et des larmes roulent le long de ses joues. C'est elle qui se soutient maintenant à Paul. Comme si elle craignait de tomber.

- Je ne veux pas, murmure-t-elle en secouant la tête, ma famille, mes amis..qu'est-ce-que je vais leur dire ?

Nous nous figeons tous les trois. Il n'y a pas de demi-mesures ni de compromis possible, notre existence doit rester secrète. De toute évidence, c'est un détail qui a échappé à Katty.

- Tu ne peux pas leur dire, lui explique Paul avec une douceur qui me surprend, pour ta sécurité autant que la leur. Il va falloir que tu restes loin d'eux un certain temps. Au moins jusqu'à ce que tu puisses te contrôler.

En une fraction de secondes, Katty s'est libérée de son étreinte. L'horreur se lit sur ses traits. Je ne sais pas si c'est Paul qui l'effraie ou ce que ses paroles sous-entendent. Mentir à ses proches est peut-être difficile mais l'idée de les blesser lui est clairement inconcevable.

- Je ne leur ferai jamais de mal, objecte-t-elle en nous regardant tour à tour.

- Bien sûr que si, je siffle avec agacement. Ils sont humains.

- Ce que veut dire Alec, reprend Chloé, c'est que tu représentes un danger pour eux même si aucun de nous ici ne doute que tu ne souhaites que leur bien.

- Alors quoi ? Je disparais simplement en espérant qu'ils me croient morte ?

Sa voix vacille sur le dernier mot et malgré son ton je devine que plus que la colère c'est la tristesse qui prédomine, la submergeant à mesure qu'elle réalise l'impact de sa transformation.

- On trouvera une solution, tempère Paul. La transition a beau être difficile, je suis sûr que tu t'adapteras. En attendant tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites.

Je retiens une exclamation. Ici ?

- Alec ira chercher des affaires chez toi, continue sa soeur jumelle avec un regard appuyé dans ma direction. Une fois que tu seras reposée, tu devras te nourrir.

La nourriture, sujet épineux. Comme je m'y attendais la réaction de notre nouveau vampire est immédiate. Une moue de dégoût déforme son visage : "Non."

Oh si, et tu vas adorer ça.

- Il n'y a pas d'autre moyen, ton organisme a besoin de sang pour survivre, admet péniblement Chloé.

- Non, c'est insensé, crache Katty en reculant, je ne vais pas me nourrir de sang ! Qu'est-ce-qui ne va pas chez vous ? C'est peut-être votre mode de vie, votre passe-temps et vous avez peut-être réussi à vous convaincre que c'était normal mais c'est totalement monstrueux !

Au moins nous sommes d'accord sur un point : nous sommes des monstres.

J'ai du parler à haute voix parce qu'elle se tourne de mon côté.

- Non, toi, crie-t-elle, tu m'as transformé en monstre ! Mais ce n'est pas vie et ça ne sera jamais la mienne !

- Très bien, laisse-toi mourir de faim, je soupire.

Elle me fusille du regard : "Si c'est la solution." Puis avant même que l'un d'entre nous puisse réagir, elle tourne les talons. La porte d'entrée s'ouvre et se referme avec un claquement sourd et Chloé s'élance à sa suite.

- Tu dois l'aider, me souffle Paul au moment où je passe devant lui.

- Et qu'est-ce-qui te fait penser que j'ai envie de l'aider ?

Il ne répond pas tout de suite, il attend que je me sois retourné. "Je sais que tu ne veux pas qu'il lui arrive ce qu'il t'est arrivé, Alec."

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant