Chapitre 4 : Self-control

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La soirée se poursuit normalement. Je bois, je repousse ceux qui tentent d'instaurer un quelconque dialogue, je bois, je me plains de l'hypocrisie générale, je bois encore. Entre temps Paul est parti faire je ne sais quoi avec je ne sais qui.

Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, les premières lueurs de jour finissent bientôt par apparaitre et le bar se vide. Laissant à nouveau chaque vampire se fondre dans une vie où les êtres surnaturels n'ont pas leur place.

Je parcours la salle des yeux à la recherche de Paul et mon regard tombe sur le corps inconscient d'un des touristes. Quelqu'un l'a assis sur une chaise où il repose paisiblement, la nuque brisée. Personne n'y a touché. Je le devine aux effluves de sang qui se mêlent encore à celles douceâtres de l'organisme en décomposition. Quel gâchis, sa mort doit à peine remonter à une heure.
Heureusement que je suis là, je songe en me penchant sur lui, pour lutter contre le gaspillage alimentaire.
Mais au moment où je m'apprête à mordre sa chair, une main me tire brutalement en arrière : "Qu'est-ce-que tu crois que tu vas faire là, mec ?"

Je me dégage d'un mouvement d'épaules.
Le grand baraqué qui me fait face se tient prêt pour une démonstration de virilité. Il bombe le torse et roule des épaules. Ses manches sont retroussées aux coudes dévoilant des tatouages qui forment comme une fresque sur ses avants-bras. Un serpent et un scorpion s'entremêlent dessus et des larmes sont dessinées à l'encre noir sur chacune de ses phalanges.

Quel homme impressionnant. Je fais mine de réfléchir à sa question.

- Je ne sais pas abruti, je pensais peut-être faire une partie de cartes ou jouer aux dominos avec mon ami ici présent.

L'insulte met au moins dix secondes à être enregistrée par son cerveau. Une fois l'information transmise il m'attrape par le col.

Mauvaise idée.

Un parce que je porte une chemise et qu'il risque de la froisser. Deux parce que s'il y a une chose que je déteste encore plus que les gens, c'est d'être touché par des abrutis. Paul dit que j'ai des problèmes de self-control mais comme je me tue à lui répèter, je suis doux comme un agneau tant qu'on ne m'irrite pas.

- Comment tu viens de m'appeler, éructe-t-il et je vois des petits postillons s'échapper de sa bouche.

- "Abruti", je répète en lui envoyant mon poing entre le menton et la gorge, juste au niveau de la pomme d'Adam.

Son emprise se déssère et il titube vers la table derrière.

Self-control.

Ou pas. Je le vois se redresser avec une expression qui ne présage rien de bon et sa main fuse vers mon visage. Je me décale juste à temps pour l'esquiver.
Maintenant que j'y pense, je crois que lui non plus n'est pas un adepte du contrôle des émotions. Je m'apprête gentiment à le lui faire remarquer lorsque un violent coup sur la tempe m'interrompt.
Légèrement sonné, je me contente d'éviter ses poings qu'il envoit régulièrement dans ma direction pendant une ou deux minutes. Juste le temps de réfléchir à une stratégie. Il est plus grand et plus musclé que moi mais aussi moins rapide. En fait sa lenteur frise même le handicap.

Je me glisse derrière lui. Comme je m'y attendais il réagit trop tard et le coup le projette une table plus loin. Touché. Un bruit de verres brisés accompagne sa chute. Quand il se relève un étrange rictus déforme ses traits. Je lui souris, ce qui a pour effet de décupler sa colère.
Je parviens encore à éviter quelques blessures avant de recevoir moi-même un coup à l'abdomen. J'ai la sensation désagréable d'avoir heurté un poids lourd lancé à pleine vitesse. La douleur lancinante, presque suffoquante contracte tous mes muscles et je tombe à genoux. Du coin de l'oeil je le vois s'avancer. Lentement mais sûrement.
Je dispose donc de trois secondes avant de ressembler à un tableau de Picasso.

- Déjà fatigué, s'enquiert-il en empoignant un pan de mon blouson noir pour me forcer à me relever.

Sa réplique est tellement, tellement pathétique, je songe en attrapant le pied du tabouret de bar à ma droite.
D'un geste fluide je l'envoie s'écraser contre le visage de mon adversaire. Mais nous ne sommes pas au Far West et ce n'est pas une chaise en bois. Le tabouret est en acier inoxydable et lorsqu'il heurte sa mâchoire, le métal plie. Et lui aussi.
Je ne lui laisse pas le loisir de reprendre ses esprits. Je frappe son visage encore et encore jusqu'à ce qu'il soit incapable de produire le moindre soin. Jusqu'à ce qu'il se taise, définitivement.

Soudain un étau puissant m'entoure les épaules, bloquant mes mains et mes bras. La rage innonde mon esprit à mesure que j'essaye de me dégager.

"Alec stop. ALEC !"

Je reconnais la voix.

- Lâche-moi Paul, je grince en continuant de me débattre.

- Non, me répond-t-il, parce que si je te laisse tu ne t'arrêteras pas. Et même si ce gars est un con il ne mérite pas ça alors laisse-le tranquille maintenant.

- Il a commencé, je me défends, je ne lui avais rien fait !

- D'accord, acquiesce-t-il, mais calme-toi ou je me charge de le faire.

Je hoche la tête en signe d'assentissement et il me lâche enfin.
Le barman nous lance un regard furieux quand nous partons mais je ne lui prête pas attention. Ni à lui ni aux trois autres vampires qui contemplent la scène d'un air outré. Si quelqu'un devrait se plaindre c'est le mobilier.

L'air frais me fait du bien et ma colère finit par refluer dans un tout petit coin de ma tête. Je m'adosse contre un mur tandis que Paul s'asseoit sur le renflement formé par la roche un peu plus loin.

- Tu n'as pas changé, me lance-t-il avec une moue moqueuse. Toujours aussi irritable.

- J'y travaille figure-toi, je réponds. Mais le calme et la patience ne comptent pas parmi mes principales vertus, hélas.

Paul sourit et nous gardons le silence.

Au-dessus de nous, le ciel prend des teintes oranges, roses et mauves par endroits. On dirait que quelqu'un a accidentellement fait tomber ses tubes de peinture dans la palette pour le peindre.

"Alec ?"

Je m'arrache à la contemplation du ciel pour me tourner vers Paul. Toute trace de sourire a disparu et ses traits auparavant détendus affichent une mine préoccupée.

- Oui ? Je demande prudemment.

- Pourquoi est-ce-que tu es revenu ?

Je savais qu'il allait me demander ça mais je prends quelques secondes avant de répondre. Pour essayer de trouver les bons mots. Ces mots qui s'emmêlent si souvent et fourchent sur la langue. Mais il n'y a rien de compliqué dans ce que je vais dire, c'est même incroyablement simple.

- Pour le retrouver.

Celui qui m'a transformé.

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J'espère que ce chapitre vous a plu!
J'en profite pour remercier ceux qui votent et commentent, en particulier @EnriethMark, meghanolipop, erza-lover123 , mais bien sûr et surtout un énorme merci à ceux qui lisent! ;)
Elsa ❤️

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant