Chapitre 12 : "Si j'avais su, je lui aurais dit plus tôt."

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Deux mois plus tard

"Tu étais vraiment obligé de faire ça ?" S'offusque Katty en contemplant le vampire brun avec lequel elle était en train de discuter s'éloigner d'un pas trainant.

- J'étais là en premier, je réplique en m'asseyant sur le tabouret à sa droite, qui se trouvait effectivement être le mien avant que son nouvel ami ne profite de ma brève absence pour se l'approprier.

- Tu es tellement immature, Alec, soupire-t-elle en avalant une nouvelle gorgée du liquide rouge que contient son verre.

Je lui adresse un grand sourire avant de reporter mon attention sur le décor désormais familier du bar dans lequel nous nous trouvons. En quelques semaines, le Sanguinaire est devenu comme un deuxième foyer pour Katty. Et de fait, le mien aussi.

Venir ici lui permet de se nourrir de manière pacifiste. Comprendre : soulager sa conscience torturée qui ne parvient toujours pas à se pardonner son seul et unique meurtre.
J'aimerais parfois lui dire que le sang à été illégalement détournées de collectes destinées à des hopitaux et donc aux nécessiteux qu'ils abritent mais je sais que Paul m'arracherait la tête. Ainsi qu'il me le répète tous les jours, la déculpabilisation est ce qui préserve Katty des abysses tentatrices de l'auto-flagellation.

Oui, le déni est définitivement un merveilleux antidépresseur.

Quoique elle ne se contrôle pas encore pour retourner sur les bancs de la faculté et cotoyer ses petits camarades sans risquer de leur ouvrir la gorge, ses progrès restent impressionnants. Pour être honnête, elle s'adapte à cette nouvelle vie bien mieux que je ne l'aurais imaginé.

Le plus éprouvant pour elle a été de s'éloigner de sa famille. Heureusement simuler une crise d'adolescence tardive nécessitait des talents d'actrices qu'elle possédait. Pas assez néanmoins pour tromper des spectateurs avertis et masquer le fait qu'ils lui manquent. Mais il nous manque tous quelqu'un, n'est-ce-pas ?

En ce qui concerne ses amis, elle les a remplacé avec une facilité qui me donne une assez idée précise de sa définition du mot "amitié". De même que ses affinités auprès de la gent masculine ne cesse de croître, la perspective de côtoyer des monstres ne semble plus être une source d'angoisse, marquant au contraire l'avènement de son fabuleux règne social.

" Ta petite enquête a donné quelque chose au moins ?" M'interroge-t-elle.

- Autant qu'hier, je réponds en faisant signe au serveur de m'apporter un autre verre.

"Autant qu'hier" est un synonyme de "rien du tout".
En tout cas au vu des résultats que j'ai obtenu après avoir interrogé toute la clientèle du bar, soir après soir, sur leur connaissance d'un vampire capable d'identifier les individus aptes à être transformés.

Le barman dépose le cocktail écarlate sur le comptoir sans quitter ma voisine des yeux. Il l'observe avec une telle intensité que je peux apercevoir les rouages de sa boîte crânienne plier sous l'effort. Son regard se pose ensuite sur moi et l'incertitude se peint sur son visage. Sa réaction est la même que la plupart des gens qui nous voient ensemble : ils s'imaginent que nous le sommes. Ce qui est à la fois absurde, consternant, irritant, et révoltant. J'entretiens avec elle la même relation que j'entretiendrais avec Quasimodo. Ni amoureuse, ni amicale, ni professionnelle.

- Tu devrais laisser tomber, me lance-t-elle en rompant le contact visuel avec le serveur qui repart avec son plateau vide et le coeur brisé. Je comprends que tu aies envie de te venger, il a détruit ta vie. Mais après tout tu as détruit la mienne aussi et je n'ai pas organisé de vendetta contre toi pour autant.

- D'après mes souvenirs tu as essayé de me planter un bout de bois dans le coeur, je réplique. C'était sans doute ta manière de me remercier ?

- J'étais en colère, se défend-t-elle, et effrayée. Je ne pensais pas rationnellement. Et même si je t'avais tué, ça n'aurait rien changé. Tu serais mort et je serai toujours vampire.

- Quelle piètre excuse pour expliquer que tu as raté ta chance, je rétorque en levant les yeux au ciel. Si ta conscience s'en contente tant mieux mais pas la mienne. Je trouverai le repos éternel une fois seulement que je saurai celui qui m'a transformé, mort. Ou brûlé. Ou découpé en petits cubes.

Ne trouvant rien à répondre, Katty se mure dans le silence. Un point pour moi.
Je laisse le bourdonnement des conversations pénétrer mon esprit. Ce n'est pas un fond sonore désagréable, il rend simplement toute tentative de réflexion impossible.

- Je peux te poser une question, s'enquiert Katty en jouant nerveusement avec les bracelets qui ornent son poignet.

- Non.

Autant s'adresser à un mur.

- Pourquoi est-ce-que tu ne parles jamais de ton passé ?

- Attends que ma biographie sorte, je lui conseille en faisant mine de réfléchir. Ça s'appellera "Journal d'un vampire"... Oups, c'est déjà pris. "Tribulations d'un bad boy qui boit du sang", alors ? Original et racoleur. Un vrai titre de livre à succès.

Katty me toise avec une moue désapprobatrice.

- Sérieusement Alec, s'agace-t-elle. Je ne sais presque rien de toi.

- Crois-moi, tu ne veux pas en savoir plus, je rétorque en me raidissant.

Sa curiosité est malheureusement trop forte pour qu'elle ne se contente de cette mise en garde et elle consacre les dix minutes suivantes à m'assaillir de questions toutes plus intrusives les unes que les autres.
Mon lieu de naissance, ma couleur préférée, mes habitudes, mes amis, mes rêves, mes ambitions. Notre dialogue pourrait ressembler à une interview. Si je répondais.

- Et ta famille ?

Mes doigts se crispent autour de mon verre.

- Tu as des frères et soeurs, poursuit-elle avec obstination. Ou tu es fils unique ?

Son emploi naïf du présent anéantit ce qui me reste de patience. Je me tourne brusquement vers elle : "Tobias. C'est le prénom de ton petit frère, n'est-ce-pas ?"

Manifestement surprise, elle marque un temps d'arrêt. Puis elle hoche la tête, un brin hésitante.

- J'avais un petit frère aussi. Cole, je précise en accentuant involontairement la pression sur les parois tièdes du verre. Une mère, un père. Une vraie famille. Heureuse, aimante, attentionnée, je n'aurais pas pu rêver mieux.

Mon verre explose entre mes doigts et le sang se répand sur le comptoir en formant comme un réseau de veines sur la surface chromée.

- Je suis désolée, murmure Katty en posant sa main sur la mienne.

Je me dégage aussitôt, son expression emplie de pitié me donne la nausée.

- Ils ne sont pas morts de vieillesse, je réplique avec colère tout en retirant l'éclat de verre qui vient de se ficher dans ma paume.

- Alors comment est-ce-qu'ils...?

Je la fixe jusqu'à ce que son regard bleu cille. Pendant quelques secondes sa question reste en suspend mais elle finit par l'achever. Les gens sont si souvent persuadés de vouloir connaître la vérité.

- Je les ai tués, je lance enfin d'un ton neutre et détaché.

Sa bouche forme un petit "o" horrifiée. Elle a ensuite un mouvement de recul qui entraine son siège percuter quelqu'un derrière. Ce dernier tombe à la renverse, entrainant divers objets dans sa chute et l'interruption de toutes les discussions en cours. À l'instar de plusieurs autres vampires, Katty s'empresse d'aller l'aider. J'en profite pour déposer quelques pièces sur le bar et me lever.

Elle n'essaye pas de me retenir quand je passe devant elle. En réalité, elle n'a plus tellement l'air d'avoir envie d'en apprendre plus sur moi.

Si j'avais su, je songe en partant, je lui aurais dit plus tôt.

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant