Chapitre 8 : Invité surprise

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"Ça ne les ramènera pas, tu le sais, n'est-ce-pas ?"

Même hors de l'appartement, les paroles de Chloé continuent de raisonner dans mon esprit et les souvenirs commencent à affluer. C'est toujours la même chose avec les souvenirs, ils se manifestent quand on ne veut pas d'eux et disparaissent lorsqu'on en a besoin.

Je déteste les souvenirs.

La colère combinée aux élancements suscités par la soif me donne maintenant envie d'arracher la gorge de tous les passants qui déambulent. Pour me calmer, j'imagine mes canines percer leurs jugulaires remplies de sang et l'horreur effacer ensuite le sourire stupide qui trône sur leur visage.
Je deviens vraiment un expert du self-control.

Je passe le reste de la journée à marcher à travers la ville. Jusqu'à ce que le soleil se couche.
Mon humeur s'améliore à mesure que le ciel s'assombrit.

Je pourrais chasser le jour -certains de mes semblables le font très bien malgré l'exposition- mais je préfère l'atmosphère nocturne et la quiétude qu'elle offre. Les gens surtout, sont moins prudents. Comme animés par une insouciance qu'ils ne retrouveraient que la nuit.
Imprudence et insouciance. C'est exactement ce que j'attends d'eux.

Il n'est pas assez tard pour que Blue Springs soit complètement désertée et je bifurque plusieurs fois dans des petites rues pour éviter les masses joyeuses qui s'attroupent devant les bars et les restaurants.
Mes pas me mènent finalement sur une petite place en face d'une église où j'entrevois enfin la perspective de manger rapidement et abondamment.

Deux jeunes amoureux qui rient en s'embrassant sur la place. Adorablement écoeurant. Je jette un coup d'oeil aux alentours. Vides. Parfait.
Je m'approche tout en feignant de m'intéresser à l'architecture baroque -et vétuste- de l'église. Au bout de deux minutes, je sens une main me tapoter l'épaule. Si les pas du jeune homme n'avaient pas été aussi bruyants, j'aurais été surpris. Ce n'est pas le cas évidemment mais je me construis un visage étonné avant de me retourner : "Oui ?"

- Excusez-moi, ça vous dérangerait de nous prendre en photo, s'enquiert-il en me tendant un appareil photo.

Le pauvre, j'ai presque pitié de lui. Presque.

- Bien sûr, même si je ne suis pas très bon photographe, je prétexte avec une modestie touchante.

Il sourit et me tape deux fois dans le dos dans l'épaule en guise de remerciements. Puis il attrape la jeune fille par la taille et ils se placent tous les deux devant l'entrée de l'église.

"On vient de se marier." M'explique-t-il avec un air béat.

Je l'écoute déblatérer sur les joies du mariage pendant que j'examine l'appareil. Son poids et sa taille sont plus importants que les appareils numériques actuels. L'arrière est proéminent et présente une fine ouverture. Un Polaroïd. Comme c'est original. Malheureusement, l'aspect vintage est quelque peu altéré par la myriade de boutons situés sur le côté gauche. Le côté droit n'en présente qu'un seul lui. Gros et rouge, j'imagine que c'est là qu'il faut appuyer.

Je glisse mon oeil dans l'objectif. Les jeunes mariés apparaissent étonnamment flous mais je ne me pose pas de questions. J'appuie sur le déclencheur. Après le brusque éclair engendré par le flash, l'appareil se met à ronronner.
Aussitôt, les deux amoureux me rejoignent. Leur enthousiasme est palpable. Je tire la photo qui vient de sortir de l'appareil en l'agitant d'un geste expert. La moindre des choses seraient d'attendre la fin de l'impression mais j'ai vraiment faim. Et ils sont vraiment proches.
Tout en glissant la photo dans ma poche, j'attrape la nuque du jeune marié. Sa veine s'ouvre sous l'impulsion brutale de mes dents et le sang se déverse dans ma bouche. La sensation m'arrache un soupir de soulagement. Les hurlements de la fille à côté de moi deviennent eux de plus en plus stridents. Entre deux sanglots, je l'entends me supplier d'épargner son mari. Une part de moi hésite à lui annoncer qu'elle est désormais veuve mais de toute façon elle est la suivante alors quelle différence ?
Dix minutes plus tard, ils sont unis pour le meilleur et pour le pire.

Très Shakespearien, je trouve.

Avant de partir, je tire leurs corps un peu plus loin, pour les empêcher de ternir l'aspect romantique du lieu. Puis je déchire la photo. Personne ne m'en voudra, je songe tandis que les morceaux retombent autour d'eux en tourbillonnant. Elle était mal-cadrée.

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Je marche d'un pas plus serein maintenant que ma soif est étanchée.

Mais à l'instant même où je rentre dans l'appartement, ma tranquillité s'évanouit. Peut-être parce qu'il ressemble à un champ de bataille. Ou peut-être parce que je sens la présence d'un individu dont je peux affirmer avec certitude qu'il n'est ni Paul ni Chloé.
J'avance d'un pas, surpris par le silence. J'ai beau me concentrer, je ne distingue aucun battement de coeur, aucun bruit de respiration.

Pas le moindre son.

Je ne connais pas beaucoup d'êtres capable d'être aussi silencieux et comme je doute que l'intrus soit une Tortue Ninja, j'en déduis que notre invité surprise n'est autre qu'un vampire. Et si j'ai plus de doutes en ce qui concerne ses intentions, j'ai néanmoins le pressentiment qu'elles ne sont pas bienveillantes. Sinon pourquoi jouer à cache-cache dans l'appartement ?

Un mouvement furtif dans le couloir interrompt mes pensées. Je crois que notre intrus s'impatiente.

Très bien, je vais aller le chercher.

Je progresse lentement, à l'affut d'un bruit, d'une odeur, ou de n'importe quelle trace qui me renseignerait sur sa localisation ou sur son identité. Mais je ne perçois rien et ma frustration croit à mesure que je découvre chaque pièce vide. Ce petit jeu devient irritant.

Jusqu'à ce qu'il ne me reste plus que la chambre de Paul et la mienne. Une chance sur deux, fin de la partie.

Je fais tourner la poignée de celle de mon meilleur ami. La première chose que je vois en y pénétrant sont les battants de la fenêtre. Ils sont grands ouverts. Un vent glacial en profite pour s'engouffrer dans la pièce. Au moment où je m'apprête à ressortir un brusque courant d'air soulève les rideaux. Alors seulement je remarque la curieuse ombre projetée sur ceux de droite.

Il me faut une seconde pour réaliser que si l'ombre est devant moi, le corps est derrière moi. Et une autre pour me retourner.

Une seconde de trop de toute évidence.

Le coup que je reçois me projette violemment contre les étagères accrochées sur le mur d'en face. Ma chute précède celle de tous les livres posés dessus. Ma tête heurte le sol avec un craquement peu rassurant. J'entreprends de me relever mais mes membres inférieures semblent ne plus vouloir répondre aux ordres envoyés par mon cerveau et un voile opaque brouille ma vision. Quand elle se réajuste je distingue un visage penché sur moi.

J'ai presque envie de rire en découvrant que l'intrus est en réalité une intruse.

Beaucoup moins lorsque je reconnais la longue chevelure blonde et les yeux bleus perçants. Sa présence est d'autant plus surprenante que la dernière fois que je l'ai vu elle était morte.

Je le sais parce que c'est moi qui l'ai tué.

- Surpris ?

- Un peu, je réponds d'un ton léger.

- Tant mieux, murmure Katty à mon oreille.

Puis avec une lenteur insupportable elle enfonce l'objet qu'elle tient dans ma poitrine. Juste au niveau du coeur.

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Et voilà, un nouveau chapitre comme je vous l'avais promis...un peu plus mouvementé. ;)
J'espère qu'il vous a plu, n'hésitez pas à voter et commenter,
Elsa ❤️

Bloody HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant