Chapitre 4, sur le lac.

176 46 141
                                    

      Paul a déjà réparé une bonne partie de son kayak lorsque j'arrive sur la plage, à dix-sept heures pétantes. Du monde est en train de se baigner au bord de l'eau, mais rien ne semble déranger mon nouvel ami. Je viens m'accroupir à côté de lui, jaugeant l'ampleur des dégâts.

— Trois fois rien finalement, un bout de scotch par-ci par-là et ça devrait suffire.

Paul me lance un regard noir.

— Tais-toi un peu et tiens-moi ça, m'ordonne-t-il.

Je m'exécute en saisissant un paquet de patchs qu'il me tend.

— C'est quoi ?

— Une sorte de pansement pour kayak. J'ai trouvé ça en ville cet après-midi.

— Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour son bateau, j'ironise.

Nous passons l'entièreté de l'heure qui suit en silence, réparant le kayak avec minutie. Enfin, je me contente seulement de tenir les ustensiles dont Paul a besoin tandis qu'il s'affaire, dans la plus grande des patiences, à tout bien rafistoler. Je suis rarement intimidable, mais je ne peux nier que ce gars-là ne me met pas en confiance. Il laisse transparaître si peu de lui que c'en est déroutant. Tout semble se dérouler en son intérieur.

Tandis qu'il pose un large patch sur la coque de son bateau, je le dévisage, tentant de déceler en lui quelques informations, mais rien n'y fait, il est impénétrable.

Lorsque tout semble remis en forme, je laisse Paul tirer son rafiot jusqu'à l'eau. Après tout, de nous deux, c'est lui qui tient le plus à aller naviguer. Si on pouvait rester sur terre, ça m'arrangerait. Il arrive pourtant à se débrouiller seul. Le kayak glisse sur l'eau et, à mon étonnement, ne coule pas. Parfait. Le jour de ma mort n'est pas encore arrivé.

— On a fait du bon travail, se ravit mon camarade, tout est rebouché, on va pouvoir naviguer !

— Super, j'ironise.

— Allez, grimpe !

— Tu m'as pris mon gilet ?

Paul se penche vers l'intérieur du bateau pour y attraper quelque chose, puis se redresse en m'envoyant une paire de brassards illustrés de dessins d'étoiles de mer.

— Top, je me réjouis. Tu veux vraiment m'humilier.

— Yep !

Paul donne une tape sur le kayak et me dévisage.

— Monte ! De toute façon je n'ai pas pris mieux, ce sont ces bouées ou rien.

Je me résigne et me hisse sur le bateau. Paul le pousse jusqu'à ce qu'il se détache des derniers galets au fond de l'eau, puis grimpe à son tour de la manière la plus aisée possible. J'en suis à peine étonné. Je m'agrippe aux bords du kayak, mon camarade saisit les rames, et nous partons.

La navigation sur le lac se passe pour le mieux. Paul rame et moi je me laisse porter. L'eau est claire et douce. De temps à autre, je laisse une main traîner dans le courant que crée le bateau. Je n'avais encore jamais observé le lac de ce point de vue-là, de son centre, dans ces eaux. D'ici, nous sommes tout petits, entourés par les montagnes qui se dressent dans le ciel tout autour de la vallée. J'en éprouve un sentiment léger, tout semble si paisible, à sa place.

Nous avançons vers le côté nord du lac, celui qui s'arrête au niveau du barrage. L'eau est plus sombre, le courant moins doux et la largeur du lac semble se resserrer. Je remarque que Paul se met à ramer avec un peu plus de vigueur. Lui ayant déjà proposé de nombreuses fois de le remplacer, je le laisse faire, capitulant. Les bordures du lac sont moins habitées, nous avons laissé depuis un moment les plages touristiques et les restaurants en bord d'eau. À leur place, des petites falaises de schiste et de granite se hissent maintenant, surplombées de conifères agités par le vent. Nous sommes en fin d'après-midi, le soleil voilé de quelques nuages est toujours haut dans le ciel, mais j'ai l'impression qu'il nous faudrait des heures pour revenir au village.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant