Chapitre 21, libération.

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      Il est dans les six heures trente du matin. Sur la plage au bord du lac, je me réveille de cette nuit sans rêve. A mes côtés, Paul s'éveille peu à peu tandis que Charlie ronfle et qu'Aglaé continue de se laisser aller.

Après notre aventure de la nuit, nous étions remontés en haut du barrage, et sans réellement admirer notre œuvre, nous avions décidé de quitter les lieux. Notre mission était réussie.

Puisant dans nos dernières forces, nous avions dévalé à vélo la route qui mène jusqu'à la plage, et nous nous y étions effondrés, épuisés.

Ce matin, le soleil se lève. L'aube naissante commence à dessiner autour de nous le paysage, et fait scintiller d'éclats d'or l'eau du lac. Je lève le regard vers le nord de la vallée. Au loin, la forme titanesque du barrage se dresse fièrement.

Je secoue Paul.

— Faut que tu viennes voir !

Il se frotte les yeux et me dévisage.

— C'est magnifique, j'ajoute.

Il se lève péniblement, réveillant de cet acte les jumeaux assoupis, et nous nous approchons de l'eau pour observer de plus près. Aglaé et Charlie ne mettent pas longtemps à nous rejoindre. Comme appartenant à un seul corps, nous levons nos visages, et contemplons la scène qui s'offre à nous.

Dans le lointain nord du lac, nos mots peints dans le béton apparaissent, puissants et redoutables. Leurs reflets brillent sur la surface de l'eau, verte et calme.

Nos cœurs s'embrasent de fierté, nos épaules s'abaissent de soulagement. Nous avons réussi, nos mots sont parfaits.

Je baisse le regard vers les petites vagues qui viennent se déposer à mes pieds. La douceur de leur geste m'attire comme une sucrerie. Je voudrais m'y jeter.

— Et si nous nous baignons, une dernière fois ?

Les yeux de mes amis s'illuminent en entendant mes mots.

Nous retirons nos vestes, balançons nos chaussures. Dans une dernière danse nous nous laissons aller. Portés entre les vagues, l'eau claire et fraîche du matin, nous nageons jusqu'à ne plus toucher le fond. Les algues sous nos pieds viennent chatouiller leur plante. Le soleil ravive nos cœurs. Autour de nous, les sapins délaissent leurs senteurs enivrantes.

Vallée de nos peines, vallée de nos rêves. Ce lieu idyllique nous accueille à bras ouverts, nous laissant nous bercer dans ses bras, envelopper dans ses eaux. La caresse qu'il dépose sur nos corps est une bénédiction. Si seulement tout cela pouvait durer éternellement.

Je lâche un rire, Aglaé une larme. Paul crie et Charlie plonge.

Et lorsque notre adieu, pareil à un deuil que nous aurions anticipé, nous semble comblé, nous quittons les eaux et retrouvons la terre. Il est temps de rentrer et de contempler notre monde changé.

      Les rues du village sont désertes lorsque nous les empruntons. Il est pourtant huit heures bien passées et, habituellement, le marché attire la foule. Chez ma grand-mère, la maison est comme vidée de toute vie. Mon ventre se noue. Quel malheur a pu toucher le village pour qu'aucune acclamation ne nous soit faite, à notre arrivée ?

Mais c'est en arrivant sur la place que nous comprenons tout. Regroupés en une seule masse, habitants et touristes s'agglutinent sur les bords du quai pour observer ce qui cette nuit a été tracé. Le barrage a parlé.

Nous nous donnons la main et, tous ensemble, soudés, nous avançons vers cette foule parcourue d'inquiétudes.

La vidéo de témoignage d'André Tournel a dû être postée. Journalistes et politiques ne vont pas tarder à débouler. Furieux, outrés, accablés.

Au milieu de la foule, j'aperçois ma mère. Elle aide ma grand-mère à s'extraire du groupe qui les oppresse de toutes parts.

Elle finit par lever son regard, et intercepte le mien. Je me détache de mes camarades pour venir intercepter ses bras. Son odeur apaise tous mes maux, sa poitrine contre mon visage m'est une bénédiction. Il faudra que je lui raconte tout et pourtant, elle ne me pose aucune question.

— Je suis fière de toi, souffle-t-elle.

Malgré les tournants inattendus que prend la fin de l'été dans la vallée, la vérité a éclaté comme une libération. Les secours scientifiques sont venus, les mesures sanitaires ont été prises, le tourisme et la fin des vacances sont bouleversés, mais les plaies peuvent à présent guérir. Et la vie continuera.

Nous avons besoin de cette jeunesse qui se lève, qui ouvre le regard là où d'autres le baissent. Il est facile de continuer sa route, enfermé dans l'égoïsme du plaisir solitaire, mais quand les premiers malheurs nous accablent, qui nous tendra la main ? Peut-être qu'il est trop tard pour réparer, mais il ne l'est jamais pour faire éclater la vérité afin que rien n'empire encore. Nous avons besoin de cette jeunesse qui se lève, et qui lance l'alerte. J'ai fini par le comprendre, après dix-neuf ans de vie paisible, à ne me soucier que de moi. Mais aujourd'hui je les entends, ces cris qui transpercent l'atmosphère, cette nature qui nous transmet sa détresse, et qu'on ne sait entendre. Une éternelle histoire d'amour et de violence. 

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Dernier chapitre très court ! En fait, je ne savais pas vraiment quoi ajouter ou alors ça aurait été forcé, mais je suis preneuse à tous vos avis s'il faut que je développe plus ? Je suis conscience que ça peut être balayé très vite donc vous me direz :)

J'ai posté l'épilogue et ma note, on s'y retrouve <3


Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant