Chapitre 6, le sac noir.

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        L'orage est passé dans la vallée, laissant derrière lui une végétation humide. L'air est plus frais, mais le soleil n'en est pas moins revenu, chaud et rayonnant. Le rythme de mes baignades a diminué, je ne me suis rendu qu'une fois à la plage depuis le début de la semaine. L'eau est trop froide et, bizarrement, mon désir a quelque peu disparu.

Il est tôt le matin lorsque je sors de la maison pour me balader dans le village. Les senteurs de la végétation encore humide emplissent mes narines. Profitant de cet instant de solitude, alors que les rues sont encore désertes, je me laisse emporter par ma mélodie intérieure. Mon bras s'envole, ma tête bascule, mon buste suit. Je tente un petit saut, atterris avec légèreté avant d'entamer un tour gracieux. Mon corps est empli de trop de joie pour pouvoir la contenir. Ce matin, nous avons reçu avec ma mère un appel de mon père. Il est au Canada, pour une tournée. Tout va bien. L'été est doux là-bas, presque un peu frais. La tournée se passe bien, la nourriture est bonne.

Je tente un nouveau saut.

Je chéris, j'aime, j'admire mon père. Mon héros, mon modèle. Je l'aime si fort que parfois, son absence me crée un vide. Même à dix-neuf ans, vivre loin de lui m'est douloureux. Mais c'est la vie qu'il a choisie, pour nous trois. Lui danse pour la Dance Company Theaterhaus Stuttgart en Allemagne, et nous continuons à vivre à Lyon. Il nous rend visite quelques fois, mais c'est la première année qu'il ne passe pas le mois d'août avec nous, chez ma grand-mère. Sa tournée a été décalée, il a dû partir plus tard que d'habitude. Ce matin, il nous a annoncé qu'il allait pouvoir venir passer quelques jours avec nous, ici, dans la vallée, avant de retourner en Allemagne. Les répétitions vont reprendre, une nouvelle chorégraphie va se préparer.

Je ne lui en veux pas, il s'épanouit dans ce qu'il fait et je suis le premier à pouvoir comprendre que danser est une passion inépuisable. Ma mère est plus amère, mais il revient pour passer quelques jours de vacances avec nous, alors on se laisse emporter par la joie. Et grâce à lui, je danse.

J'arrive bientôt à la miellerie de Pierre Chomin, dans les hauteurs du village, qu'il est en train d'ouvrir. Il m'indique que son fils doit être dans la grange derrière la maison. Il répare leur camionnette. Je retrouve en effet Paul, quelques minutes plus tard, la tête plongée dans le capot du véhicule. Il a de la crasse sur le bout du nez.

— Réparateur de kayak, matelot, mécanicien, tu en caches d'autres des talents comme ça ? je lui lance pour tout salut.

Il sourit avant de plonger à nouveau la tête dans son engin pour y trafiquer les pièces.

— Aglaé et Charlie ne vont pas tarder, m'informe-t-il. Prends tes aises, on n'est pas maniaques ici.

Ne sachant pas vraiment où m'asseoir parmi tout le bric-à-brac qui encombre la pièce, je me mets à l'arpenter. La grange de la vieille maison, haute de plafond, est remplie d'objets anciens, d'outils agricoles, de ruches en mauvais état, de pots de peinture séchant à l'air libre. Un lieu plein de vie et de souvenirs, de passages et d'abandons.

— Tu fais quoi, dans la vie ? je demande alors à Paul, curieux.

De l'autre bout de la pièce, mon ami répond :

— J'sais pas vraiment. T'en poses de ces questions.

Le silence envahit à nouveau la grange, ponctué de temps à autre par les cliquetis que produisent les outils qu'utilise Paul. Je capitule, il n'a pas envie de parler.

Aglaé et Charlie ne mettent pas longtemps à arriver. Quelques minutes plus tard, les deux jeunes frère et sœur débarquent dans la grange à leur tour, plus déterminés que jamais. Aglaé porte une salopette de compétition et des chaussures parfaitement lacées, tandis que Charlie apporte sur son dos un sac bien rempli, sa casquette vissée à son crâne.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant