Les jours filent avec lenteur. Malgré la présence de mon père à la maison, les heures semblent s'éterniser sur la grande pendule encombrant le salon de ma grand-mère. Les premiers jours se sont bien passés, avec ma mère, nous avions profité de la présence de mon père. Malgré ma cousine qui m'insupportait, nous nous étions occupés à toutes sortes de jeux et d'amusements dans le jardin. Nous faisions nos séances d'étirements et de musculation tous les matins, et nous nous exécutions à quelques créations chorégraphiques l'après-midi.
Mais aujourd'hui, nous sommes le quatrième jour de mon enfermement. Je n'ai toujours aucune nouvelle de Paul et des jumeaux, et cela m'inquiète. Ils ne sont pas venus cogner à la fenêtre de la bibliothèque, crier mon nom au portail du jardin. Que se passe-t-il, là-bas, dehors ? Leur est-il arrivé quelque chose ? Jusque-là, je n'y avais que peu pensé, mais ce matin cela commence à m'angoisser. Nous aurions déjà dû élaborer notre plan d'attaque, dénoncer les Fabre et M. Clausel pour les faire parler. Pourtant je suis là, étalé sur un transat de la terrasse, à écouter ma tante et ma mère raconter les derniers potins du village. Je suis comme pris au piège, et rien n'aurait dû se passer ainsi.
Mon père vient me sauver des angoisses et supplices qui me parcourent :
— Et si on sortait un peu ? me propose-t-il.
— Je croyais que j'en étais interdit, je réponds, incrédule.
— Ça, c'est ta mère qui l'a dit. Je reste libre de te proposer une évasion.
Je retiens ma joie, encore trop peu assuré que ma mère puisse me laisser filer si facilement. Elle ne s'est pas encore remise de la visite des gendarmes, et semble obstinée à l'idée de me punir pour ça. Je pense que cela est plus dû au fait qu'elle veut montrer qu'elle est capable de faire preuve d'autorité devant le reste de la famille, plutôt que par déception de mon comportement. Je n'ai rien fait de bien grave, et je me doute qu'elle n'en pense pas moins.
— Allons randonner jusqu'au refuge, me propose mon père. On dort là-bas ce soir et on revient demain.
— Revenir d'où ? questionne alors ma mère, qui a saisi quelques bribes de notre conversation en tendant son oreille curieuse.
— Secret entre Valentin et moi ! sourit son mari.
— Tiens donc ? C'est autorisé, ça ?
— Tu ne vas pas lui interdire aussi d'avoir une complicité avec la seule personne qu'il a le droit de voir ?
— Et pourquoi pas ? le taquine ma mère. Après tout, j'ai les pleins pouvoirs, ici.
— Caro ! rit mon père. J'emmène Valentin en randonnée, que tu le veuilles ou non.
Ma mère se lève de son transat pour venir l'embrasser. Autour, ma tante et moi sourions du spectacle.
— Très bien, mais alors, je viens avec vous.
Et c'est ainsi qu'en début d'après-midi, nous partons tous les trois gravir les sentiers qui montent jusqu'au refuge. Chaussures bien lacées aux pieds, sacs à dos et tente accrochés, nous débutons notre ascension.
La vallée est douce en cette journée, le vent s'éveille avec lenteur, et la bruyère nous offre ses senteurs exquises. Nous grimpons par le sentier balisé qui monte jusqu'au refuge. Plus haut encore, la station météo de la vallée surplombe toute la région. Le chemin alterne entre sous-bois et pâturages, où les veaux nés des portées d'août commencent à gambader. Ils sont à peine sortis, encore fébriles et tremblants. Leurs mères, à côté, nous regardent d'un coin de l'œil, méfiantes. Nous connaissons les codes, aucune approche ne doit se tenter lorsque les petits sont aux champs, ou les vaches chargent avec colère. Quelques ruisseaux et béals longent les pâturages et s'échappent de la rivière provenant, elle, de la source en haut de la montagne. Tous descendent vers le lac, ruisselant le long de la vallée jusqu'à ne faire plus qu'un avec cette masse d'eau, poétique et majestueuse. Durant une bonne partie de notre ascension, le lac nous est visible. Son omniprésence semble vouloir me mettre au défi, et j'y discerne presque un appel à l'aide. Que fais-je à grimper cette montagne, ma place ne devrait pas être en bas, à mettre en lumière une vérité cachée ? Il me dévisage, m'appelle, me gronde. Je perds mon temps, et pourtant, que la nature est belle. Comme la vallée qui s'étend devant moi me rappelle la chance que j'ai, me bouscule en me racontant que je ne suis rien face à cette immensité. Des montagnes vieilles comme le monde, des roches qui ont connu le feu, les profondeurs inexplorées, des arbres portant les souvenirs de générations. Qui sommes-nous pour nous prétendre maîtres de tout ça ? Qui sommes-nous pour que nos ambitions et notre soif abattent cette poésie naturelle ? Contempler cette vallée, c'est retrouver notre humilité, comprendre où est notre place et où elle ne doit pas être. Usine, barrage, bateaux, pontons en béton. Cruelles taches, cruelle griseur.
VOUS LISEZ
Jeunesse lève-toi.
Teen FictionAu bord du lac où Valentin a pour habitude de passer ses vacances à prendre des bains de soleil, un groupe d'adolescents mène l'enquête. Le lac peu à peu est détruit. Il perd ses couleurs, empoisonne poissons et habitants. Ce malheur ne peut plus d...