Chapitre 10, oncle René

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— Pourquoi, POUR-QUOI, P-O-U-R-Q-U-O-I ? s'écrit Aglaé en grimpant dans la camionnette. Je ne comprends pas ! Cet homme ne nous a pas aidés, il nous a juste encore plus perdus !

— Calme-toi, s'emporte à son tour Paul. Ça s'est bien mieux passé que ce à quoi on s'attendait. Ce gars est une bénédiction.

— Ah ouais ? Tu veux mon avis ? Cet André Tournel, sur ses airs de gentil naturaliste, a bien des choses à se reprocher. J'ai tapé dans le mille tout à l'heure. Vous le savez, il le savait, et il a bien flippé.

— Tu penses qu'il a volontairement falsifié son étude ? j'interviens alors que Paul démarre la camionnette.

— Évidemment ! Il n'a rien voulu dire mais ça crevait les yeux, ce gars est un pourri qui a accepté de l'argent pour que l'état puisse laisser tranquillement l'usine déverser ses produits dans le lac !

Aglaé est tellement énervée qu'une larme de colère naît au bord de ses yeux. Tout en regardant la route, Paul vient délicatement déposer sa main sur celle de la jeune fille.

— Je n'en suis pas aussi certain que toi, avoue-t-il d'une voix douce. Il n'a pas le droit de parler, c'est certain, mais qui te dit qu'il n'est pas la victime d'un chantage ? Il était inquiet qu'on puisse le surprendre en notre présence lorsque nous sommes arrivés.

— C'est vrai, acquiesce Aglaé, tout d'un coup plus calme.

Elle vient d'un revers de manche essuyer ses larmes.

— Ça aurait été tellement plus simple s'il nous avait tout avoué.

— Si mon hypothèse est juste, tu comprends bien qu'il n'a pas pu. On va devoir faire sans.

— Maintenant, nous avons quand même deux nouveaux noms à noter à notre liste de personnes impliquées dans l'affaire, je rappelle. Et ça c'est un bon point.

— Marie Fabre et Gérard Clausel, se remémore Paul. Des noms assez connus dans la région. M. Clausel n'est plus maire depuis des années, mais il habite toujours le village. Mme Fabre doit être encore au département, mais je n'ai aucune idée de ce qu'elle y fait.

— Je ferai quelques recherches en rentrant, propose Aglaé.

Nous acquiesçons.

— Vous pensez réellement que l'usine déverse des produits dans le lac sans contrôle ? je m'étonne. Ça paraît quand même impossible avec toutes les réglementations qui existent aujourd'hui.

— Tu sais, on trouve encore pas mal de substances qui échappent aux radars. Et il suffit que leur dose soient d'un rien inférieures aux chiffres énoncés pour que personne ne s'en soucie.

Les explications que m'offrent Paul me laissent un froid dans le dos. Je ne m'étais jamais inquiété de toutes ces possibilités. Pour moi, les lois étaient sûres. Mais, maintenant que je m'aperçois que les dosages ne sont que des chiffres arbitraires, dont la frontière entre ce qui est tolérable ou non n'est qu'une question de faible variation, je reste perplexe.

Depuis que nous sommes partis de chez André Tournel, nous avons déjà pas mal roulé pour retourner au village. Il me tarde de rentrer pour m'étaler dans ma chambre et faire une sieste bien méritée. Mon corps a du mal à passer outre le réveil matinal que je lui ai imposé et la plongée dans l'eau froide du lac. Cette dernière a d'ailleurs réveillé ma blessure aux genoux qui ne cesse de me jeter des piques de douleurs désagréables.

Paul arrête un instant la camionnette au stop qui ponctue un carrefour. En face, un panneau nous indique les différentes routes à suivre. Nous prenons un moment pour étudier où nous nous trouvons. En prenant à droite, nous retournons au village, en prenant à gauche, nous accédons au barrage qui traverse le lac, à moins de deux kilomètres. Et en continuant tout droit, le panneau indique le chemin qui mène jusqu'à l'usine où travaille mon oncle.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant