Chapitre 8, eaux sombres

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        Il fait encore nuit lorsque mon réveil sonne. Péniblement, je sors de mon lit et me vêts d'un vieux pull. Sans réveiller la maison qui dort encore, je me faufile à l'extérieur. L'air est frais et humide de la nuit, et l'on entend quelques animaux nocturnes profitant des derniers instants avant le lever du jour. Sans laisser la fatigue me gagner, je prends le sentier qui descend jusqu'au lac. Il coupe par le bois sans passer par le village. Je dois rejoindre Paul et Charlie sur la plage, ils sont sûrement en train de m'y attendre et préparer le kayak pour partir.

La forêt est légèrement éclairée par les derniers rayons de lune et les premiers rayons du jour, mais je ne suis pas rassuré. L'homme que j'ai surpris en train de m'épier au bord du lac hier me fait froid dans le dos. Après sa fuite, j'avais malgré tout gardé mon sang froid : je m'étais empressé de rentrer chez moi puis je n'avais pas bougé de la maison durant le reste de la journée. De temps à autre, j'avais jeté des regards aux alentours en quête d'une nouvelle apparition suspecte, mais il ne s'était rien passé d'anormal. L'homme n'était pas réapparu.

Je ne mets pas plus longtemps qu'en journée pour traverser la forêt. J'atteins bientôt la plage sur laquelle je retrouve Paul et Charlie. Le kayak est déjà à l'eau, prêt à partir, et mes deux camarades sont assis sur une des roches en bordure de plage, sérieux et silencieux.

Mon ventre est légèrement noué, je ne sais pas si je vais réussir à satisfaire leurs attentes. Je n'ai pas plongé depuis quelques années, et jamais dans des circonstances pareilles : sans accompagnateur, dans l'illégalité, et avec un matériel loin d'être de dernier cri. Mais tous comptent sur moi, alors j'essaie de garder confiance.

Lorsque j'arrive à leur hauteur, Charlie grogne et tend un billet à Paul. Ce dernier est ravi, moi, je fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qui vous prend ?

— On avait parié que tu ne viendrais pas, me sourit Paul. Moi, j'étais sûr que tu serais là !

Il glisse le billet dans sa poche et saute du rocher.

Charlie vient maladroitement s'excuser :

— Tu comprends, tu n'as pas l'air non plus du gars qui compte venir plonger à six heures du matin dans l'eau gelée d'un lac.

— Sympa de me rappeler ce détail..., je soupire en balayant au plus vite tous les paramètres qui rendront mon baptême de plongée insupportable.

Paul sort du sac noir qu'a ramené Charlie la combinaison essayée la veille. Je m'applique à l'enfiler tandis que mes deux amis s'occupent de préparer le reste. Lorsque nous sommes prêts, nous embarquons. Le jour se lève et nous n'avons pas une minute à perdre. Paul attrape les rames et commence à pagayer à vive allure. Installé à l'arrière, je profite d'être debout à une heure si matinale pour respirer à pleins poumons l'air frais du matin. La vallée est si silencieuse. Les premiers rayons du jour viennent se déposer sur les sommets des montagnes, laissant encore le lac dans l'ombre. Rien ne bouge.

Alors que nous avançons à travers les eaux sombres, je viens percer le silence :

— L'enquête d'Aglaé sur André Tournel avance bien ?

Charlie acquiesce.

— Elle doit lui téléphoner dans la matinée. Il habite au nord de la vallée, près du barrage. Elle n'a pas eu de mal à retrouver sa trace et ses contacts : il est toujours lié à la mairie du village.

— Et vous pensez qu'il va s'ouvrir facilement à elle ?

— Elle s'est présentée comme une jeune naturaliste pleine d'ambitions, qui ne souhaite rien d'autres qu'apprendre le métier et devenir comme son modèle : André Tournel, rit Charlie.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant