Chapitre 11, paradis.

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Ma mère et ma tante sont étonnées de me voir rentrer à la maison en compagnie de mon oncle.

— J'l'ai croisé avec ses copains en sortant du boulot, pas loin de l'usine, leur explique-t-il en s'installant à table.

Elle a été joliment dressée pour le déjeuner.

— Qu'est-ce que vous faisiez là-bas ? s'étonne ma tante.

— On avait envie d'aller se baigner, je mens. Il y a trop de touristes à la plage du village, et mes amis ont une voiture.

— Pas très écolo, souligne ma mère.

— Ça va, maman, ce n'est pas comme si je roulais tous les jours. Et puis Paul n'a pas une Ferrari.

— Paul, le fils de Pierre ?

— En personne ! s'exclame mon oncle. Ce gosse n'a d'ailleurs rien de son père. Un garçon charmant à qui je promets une belle et longue carrière ! Pas comme ce vieux Pierre ...

Je pince les lèvres pour me contenir, mais cela finit par m'échapper :

— Pierre peut lui aussi être charmant.

— Tu parles, râle mon oncle, c'est un emmerdeur ! Jamais heureux de rien, toujours à lutter contre tout. On l'écouterait, on vivrait tous dans une grotte à se nourrir de baies. Les anti-systémiques comme lui sont des plaies.

Je lâche le débat, mon oncle est imbattable quand il s'agit de descendre Pierre Chomin, et cela date depuis la cour de l'école. Et puis, avec la merveilleuse proposition qu'il nous a offerte avec Paul, je ne veux pas le contrarier.

On s'installe à table. Ma grand-mère, fatiguée, est restée au lit aujourd'hui. Ses quatre-vingts ans passés commencent à lui peser. Elle respire moins bien, fait des chutes dont elle ne peut se relever et son esprit s'absente par moment. Le début de la fin comme dit ma mère. Elle le prend avec légèreté, mais je sais que cela la peine. Ce n'est pas pour rien si, cette année, nous passons de plus longues vacances dans la vallée, et que mon oncle et ma tante ont décidé de s'installer chez elle. Elle ne peut plus vivre seule.

Ma cousine et son copain Thomas nous rejoignent à table, et nous commençons à déguster.

Je suis étonné que mon oncle ne raconte pas durant le repas la proposition qu'il nous a faite. Il doit aimer garder ça pour lui. Notre petit secret. Pour la première fois, il doit se révolter un peu de ses habitudes. Faire entrer deux jeunes, dont le fils de son ennemi juré, au cœur de son travail, ça n'est pas rien.

Après le repas, je pars me reposer dans ma chambre. Je m'étale sur le lit. La fenêtre est ouverte, laissant les senteurs de la montagne parvenir jusqu'à mes narines. L'air qui pénètre dans la pièce est chaud mais agréable. J'entends quelques cigales, mais surtout les passereaux qui ont élu domicile sur les arbres du jardin et dont le chant reste un des plus précieux. Dans un carnet que j'ai laissé traîner sur la table de chevet, je me mets à écrire les derniers évènements qui ont ponctué mes vacances, j'y laisse des sentiments, des réflexions, des doutes, comme j'aime le faire souvent. Sur une page, la mine de mon crayon vient dessiner les traits du visage de mes nouveaux amis. Paul, Aglaé, Charlie. Je me perds au milieu de mes récents souvenirs, et dans ce moment de douceur, jusqu'à ce que le sommeil m'emporte.

Lorsque je me réveille de ma sieste, deux heures ont passé. Je me lève péniblement et descends jusqu'au rez-de-chaussée. Je retrouve ma mère, étendue sur un transat sur la terrasse, un livre à la main.

— Bien dormi ? me sourit-elle.

— Ça va, je réponds en venant m'installer sur la chaise à côté d'elle. J'étais claqué.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant