Chapitre 3, kayak vandalisé.

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       Lorsque je me réveille le dimanche matin, il est déjà tard. J'ai la tête lourde. Après les évènements de la veille, j'ai mis un temps fou à m'endormir. Qu'avais-je donc vu ? Des questions s'étaient bousculées dans ma tête toute la nuit. Pourquoi Paul essayait-il de pénétrer illégalement dans la mairie du village ? Qui étaient les deux autres individus qui l'accompagnaient ?

L'incompréhension qui m'habite me donne l'impression d'avoir vécu au milieu d'un rêve éveillé.

Je décide de me lever. Ma mère est assise à la table de la terrasse. Je m'installe à côté d'elle pour venir croquer dans une tartine. Elle m'informe que Tatiana et Thomas sont partis en randonnée. J'en suis ravi, une matinée de tranquillité sans ma cousine adorée.

— C'était comment la fin de soirée ? me demande ma mère.

Je lui raconte qu'Oncle René, alcoolisé, s'est emporté contre Pierre Chomin.

Ma mère souffle, fatiguée.

— Ton oncle et lui n'ont jamais pu se voir. Pierre a passé sa vie à s'en prendre à l'usine où travaille ton oncle. Il l'a vandalisée à de nombreuses reprises, et a tenté de la poursuivre en justice.

— Ça a fonctionné ?

— Non. Pierre n'a jamais rien trouvé pour incriminer l'usine.

Une question me ronge. Je sais que c'est un sujet sensible à aborder dans le village, et même avec ma famille. Je décide de la poser, après tout je ne risque rien face à ma mère.

— Il y avait de quoi incriminer cette usine ?

Ma mère me dévisage. Je lis dans ses yeux une pointe d'hésitation. Mais elle est très vite balayée.

— Val, chéri, il y a des sujets qu'il est préférable de ne pas aborder, et des questions qu'il vaut mieux taire. Ton oncle ne rit pas de ces choses-là.

Elle me regarde, désolée. J'hausse les épaules et croque dans ma tartine.

— Ils ont donc quelque chose à se reprocher.

Ma mère se lève de table, son roman à la main.

— Bien sûr que non, mon chéri.

Elle s'engouffre dans la maison. Je reste seul un moment, contemplant le lac de ses hauteurs.

Pour me vider la tête de tous les questionnements qui me travaillent, je décide de partir au village. J'enfile un t-shirt propre et des baskets, et prends la route. J'aime les vacances pour ça : me retrouver dans le village de mes ancêtres, celui de ma famille et de mon enfance. J'y retrouve une terre connue, je m'y sens chez moi.

Avec ma mère, nous vivons à Lyon, dans notre appartement à nous. Cette vie citadine me plaît. Ma mère est infirmière et moi je suis au conservatoire national de danse pour obtenir mon diplôme de professeur. Si je réussis, je serai certifié dans un an et je pourrai donner mes propres cours. Y penser me procure une joie immense. J'ai toujours dansé. Ma mère se plaît à dire à qui veut l'entendre que depuis que je marche, je danse. Très vite elle m'a inscrit à des cours, et je suis entré au conservatoire à onze ans. Mon adolescence s'est ponctuée de rigueur et de passion, entre pirouettes et entrechats. Je ne le regretterai jamais. Je ne veux rien faire d'autre que danser. Pour le moment cela m'attire vers les grandes villes, mais peut-être qu'un jour j'arriverai à ouvrir ma propre école, ici, dans la vallée.

Lorsque j'arrive sur la place du village, cela se ressent que la fête a battu son plein jusqu'à tard dans la nuit. Des gobelets gisent encore au sol, des taches de boissons collent sur les pavés. Le patron du bar en face est affairé à nettoyer tout ça, je lui donne un coup de main puis me retire. La plupart des commerces sont fermés : dimanche, jour de repos. Je traverse le village dans sa longueur, jusqu'à la miellerie. Là, Pierre Chomin est occupé à repeindre la devanture de son magasin.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant