27 - Crash (Théa)

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Enfouie sous la couette, j'entends mon téléphone vibrer à plusieurs reprises. Lola, probablement. Je ne réponds pas. Je ne peux parler à personne. Plus que de ne pas pouvoir, je n'en ai pas l'envie. Pourquoi diable s'engager dans des relations avec autrui si c'est pour se faire blesser ? Une larme solitaire roule le long de ma joue. Je n'ai même plus la force de pleurer. Je ne suis plus qu'une coquille vide. Je viens d'épuiser le stock de perles lacrymales. La douleur que je ressens, elle, est toujours bien présente. Je n'en reviens toujours pas qu'il soit parti ainsi. Et aucune nouvelle de lui depuis. Comme je m'y attendais...

Je me recroqueville sur moi-même, un coussin dans les bras qui étouffe mes hurlements rageurs. A travers la brume de la tristesse perce la colère. Une colère que je ne sais pas comment gérer tellement elle a de cibles. J'en veux à Lola de m'avoir convaincue de m'essayer à l'amour. Je suis en colère contre Ethan d'avoir fait la seule chose qui pouvait me blesser à ce point. Et, surtout, je suis furieuse contre moi-même. Comment ai-je pu lui faire si facilement confiance ? Comment ai-je pu m'attacher si rapidement à un mec qui n'en avait rien à foutre ? Qu'est-ce qui cloche chez moi ?

Je ne veux plus faire confiance. Je voudrais anesthésier cette douleur. Je ne veux plus rien ressentir. Je voudrais être faite de pierre pour que rien ne puisse me briser. Mais il semblerait que je sois plutôt du genre porcelaine... Mon esprit vagabonde et s'amuse à imaginer une vie pour laquelle je n'aurais plus besoin d'être en contact avec qui que ce soit, où je pourrais espérer rester enfermée sous cette couette indéfiniment, avec pour seule compagnie Orphée. Je me reprends bien rapidement. Cette vie me rendrait folle. Et, il faut l'avouer, Lola ne me laisserait jamais tranquille, quitte à enfoncer la porte d'entrée. Je souris, l'image de Lola surgissant dans mon appartement pour m'en sortir à coups de pieds aux fesses est amusante et apaise ma colère envers elle. Elle a toujours été là pour moi, elle ne veut que mon bien.

Lola et moi, on se connaît depuis une dizaine d'années. Elle a été la première et unique personne à me tendre la main et à m'offrir une oreille attentive lorsque je suis arrivée en foyer. On a beau ne pas avoir vécu les mêmes choses, rapidement nous avons été très soudées et inséparables. Et, encore aujourd'hui, je peux compter sur elle. Je n'ai qu'à tendre la main vers mon téléphone pour la solliciter. D'ailleurs, le cellulaire vibre à nouveau et, cette fois, je décroche. Par habitude, j'éloigne l'appareil de mon oreille pour m'épargner ses cris.

― THEA GUYOT ! UN TÉLÉPHONE SERT A Y REPONDRE !

Je grimace. Sa façon de me dire qu'elle était inquiète. Alors j'attends qu'elle se calme un peu. Elle exhale longuement pour faire redescendre la pression avant de reprendre.

― Sérieux, Théa... Qu'est-ce qu'il se passe ?

Ma gorge se serre à cette question car lui raconter rendra tout cela si réel... Je ferme les yeux pour retenir les larmes qui me montent aux yeux. Le stock a été refait, apparemment. Je tente de maîtriser le tremblement de ma voix alors que je lui raconte ce qui s'est passé la veille. A la fin de mon récit, elle reste un moment silencieuse avant d'exploser :

― C'EST UNE BLAGUE ?

Elle se tait. Je l'imagine en train d'essayer de contrôler la rage qui monte en elle. Elle a toujours agi comme une maman ours avec moi et, là, je suis prête à parier qu'elle le dévorerait tout cru si elle avait Ethan en face d'elle. Pourtant, comme d'habitude, elle n'en montre rien. A la place, elle souffle :

― Je suis désolée de t'avoir convaincue d'installer cette appli de malheur...

― Ce n'est pas ta faute, Lola.

― Et ce n'est pas la tienne non plus, Théa.

J'esquisse une moue peu convaincue qu'elle ne peut évidemment pas voir. Elle a beau me répéter cette phrase, je n'arrive pas à m'en persuader... Je n'ai jamais su pourquoi mon père nous avait abandonnées mais mon cerveau d'enfant a, à l'époque, pris le blâme de cet abandon. Le suicide de ma mère n'a rien arrangé, je me suis dit que je n'ai pas été capable de l'aider comme il le fallait, que j'avais failli... Et c'est resté ancré en moi, si profondément, que je n'arrive pas à me le retirer de l'esprit. Elle insiste, sachant pertinemment à quoi je suis en train de penser :

― Vraiment. Absolument rien ne justifie une telle lâcheté et personne ne mérite de subir une telle chose. OK ?

J'opine du chef, tentant d'assimiler ces paroles et de les intégrer. Peu de chances de succès, je dirais. Mais qui ne tente rien n'a rien, n'est-ce pas ?

― OK, murmuré-je d'une voix mal assurée, uniquement pour la satisfaire.

Après un long silence, elle me demande :

― S'il te plaît, arrête de t'isoler dans ces moments-là... Tu sais que ça me rend folle d'inquiétude à chaque fois que je n'ai plus de nouvelles de toi...

Je le sais. Pourtant, c'est plus fort que moi. Comme si personne ne pouvait comprendre ma peine, comme si personne ne pouvait m'aider, comme si je dérangeais, comme si je n'étais qu'une moins que rien, je ne peux m'empêcher de me renfermer sur moi-même. J'inspire une grande goulée d'air et, penaude, déclare :

― Je sais... Promis... Je vais essayer.

― N'oublie pas que je suis là si tu en as besoin. Toujours.

― Oui, je sais. Merci, Lola.

Changeant de sujet, elle me demande comment se passe le déconfinement professionnel pour ma part. A cette question, j'écarquille les yeux. Je n'en sais absolument rien et, si c'est le cas, c'est sans doute que parmi les appels refusés, certains devaient être de ma patronne. Ma réaction amuse ma meilleure amie qui m'enjoint à raccrocher pour rectifier le tir. Je la remercie à nouveau et m'attelle à la tâche sans attendre.

Bien que son ton soit quelque peu agacé, ma patronne ne semble pas m'en tenir rigueur lorsqu'elle accepte l'appel et énonce les conditions de réouverture de la bibliothèque. A l'idée de reprendre mon activité, je sens le sourire me monter aux lèvres. Je profite d'avoir Roseline au téléphone pour lui faire part de mes propositions de romans qu'elle accueille, comme toujours, avec beaucoup d'enthousiasme.

Lorsque je quitte Roseline, je me sens plus légère, j'en viens presque à oublier ce qui m'avait poussé à m'isoler du monde ainsi. Mais, je l'ai dit : presque. Je souffle longuement, le cœur lourd de déception et de colère. Je vais devoir apprendre à vivre avec ces émotions pendant quelques semaines, voire plus... Je ne sais pas combien de temps cela peut prendre étant donné qu'on commençait seulement à se connaître. Bon, il paraît qu'avec le temps, toutes les blessures guérissent, pas vrai ?

The Perfect MatchOù les histoires vivent. Découvrez maintenant