3-Run Boy Run (Ethan)

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Le casque enfoncé sur les oreilles, je travaille avec acharnement sur ma dernière composition, un petit morceau un peu pop rock qui me traine dans la tête depuis un moment et qui ne demandait qu'enregistrement. Une fois la partie guitare enregistrée, je la débranche et la dépose sur son trépied. Alors que je vais pour me saisir de ma basse, mon téléphone vibre, annonçant l'arrivée d'un message. Je jette rapidement un coup d'œil à l'écran et découvre une notification de mon application de rencontre.

 Je jette rapidement un coup d'œil à l'écran et découvre une notification de mon application de rencontre

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Je hausse les sourcils, surpris. Inscrit depuis quelques mois de force par ma sœur car elle estimait que mon travail ne me permettrait jamais de rencontrer qui que ce soit et qu'il fallait que j'arrête de me cacher derrière mon côté bourru, je dois dire que ce n'est pas un franc succès. J'ai eu deux matchs avec 62 et 67 % de compatibilité. Soit rien d'exceptionnel. Et les conversations qui en ont découlé se sont révélées à la hauteur de ces pourcentages peu fameux. Étant donné que j'ai accepté de jouer le jeu pour faire plaisir à Emma, cela n'a fait que me convaincre de l'inutilité de ces applications.

Malgré tout, la curiosité me pousse à déverrouiller mon téléphone pour découvrir ce match. Aussitôt, j'écarquille les yeux lorsque le pourcentage clignote à l'écran. 94 %. Comment est-ce possible ? Je frotte ma barbe de quelques jours, pensif. Je ne m'attendais pas du tout à cela. Je tapote le logo pour découvrir le profil de la jeune femme avec qui je suis apparemment tout à fait compatible.

Je tombe sur une photo assez esthétique avec un joli effet de lumière qui met en valeur une longue crinière rousse. J'aperçois à peine le visage, seul le menton est visible. Un menton qui laisse présager une certaine douceur émanant de cette personne... Il n'empêche que je trouve cela gonflé de la part de cette Théa de s'inscrire à ce genre de chose sans vouloir se dévoiler ainsi. Je veux dire par là que c'est un indispensable si on veut véritablement rencontrer quelqu'un. On ne peut pas ignorer l'aspect physique...

Après un soupir, je passe à la lecture de sa description sans grande conviction. D'ailleurs, celle-ci est courte, très courte...

Je fixe l'écran un long moment, quelque peu déconcerté

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Je fixe l'écran un long moment, quelque peu déconcerté. Peu informative mais mystérieuse. Je secoue la tête pour me sortir de mes pensées et dépose mon téléphone près de mon ordinateur. Je me saisis de ma basse pour me remettre à mon début de composition.

Malgré moi, mon esprit est ailleurs. Mes doigts pincent les épaisses cordes sans que j'y fasse vraiment attention, le son grave résonne dans mes oreilles sans que je l'entende vraiment. Est-ce possible d'être compatible à 94% avec quelqu'un ? Je n'y crois pas. Je n'ai pas l'impression que nous puissions avoir des points communs. Bien sûr, il est trop tôt pour faire de telles conclusions. Pour autant, je ne suis pas convaincu. Cette haute compatibilité renforce l'idée que j'ai de cette appli : ce n'est que du pipeau.

Ne parvenant à rien tant que je ne peux pas me concentrer sur ma tâche, j'abandonne mon instrument et décide d'aller me défouler. Une des seules activités pour lesquelles nous avons le droit de sortir depuis un mois... J'enfile mon jogging et mes baskets de sport, prends un masque au cas où avant d'aller courir. J'ai la chance d'habiter au centre ville à côté d'un petit parc, je me dirige donc vers celui-ci, le soleil inondant mes joues et provoquant en moi une sensation d'apaisement inégalable.

Je fais le tour du bosquet à petites foulées, profitant pleinement de ma seule sortie de la journée pour respirer l'air frais à pleins poumons. Mon regard se promène sur les pelouses qui commencent à grouiller de pâquerettes, sur les arbres verdoyants et les rares écureuils qui escaladent les troncs. La nature revit avec ce printemps doux et la quasi absence d'humanité pour l'en empêcher.

Dans ma poche, mon téléphone se met à sonner. Une fois. Deux fois. Qui cherche à ce point à me joindre ? La réflexion est rapide. La seule qui serait capable d'insister à ce point, c'est ma sœur. Et, si c'est bien elle, j'ai le temps de finir ma course. Elle m'en voudra un peu mais je sais que son appel n'a rien d'urgent. Elle est inquiète pour moi avec ce confinement, alors elle vient à la pêche aux nouvelles régulièrement.

Une vingtaine de minutes plus tard, je franchis la porte de mon appartement, le front dégoulinant de sueur, les muscles endoloris par l'effort. Je sors mon appareil et constate dix appels manqués. Je lève les yeux au ciel et l'appelle sans plus tarder avant qu'elle ne fasse une crise et qu'elle décide de ne plus jamais me parler ! J'appuie sur son nom et la mets directement sur haut-parleur en attendant qu'elle décroche.

― Ah bah enfin ! s'égosille Emma.

Heureusement que je n'avais pas le téléphone collé à l'oreille, sinon j'aurais pu dire adieu à l'un de mes tympans, ce qui peut être assez handicapant quand on travaille dans le monde de la musique... Je retiens de justesse une pique mesquine et vais droit au but :

― Qu'est-ce que tu veux, frangine ?

― Ben, prendre des nouvelles, répond-elle d'une voix mielleuse, plus calme, qui ne me dit rien qui vaille.

― A quelle sorte de nouvelles t'attends-tu ? On est confiné, mes journées se ressemblent. Il y a pas grand chose à dire.

Je l'entends souffler. Je peux presque prédire sa phrase suivante : "Tu ne fais aucun effort, Ethan. Tu pourrais, au moins, essayer d'aider ta grande sœur ! ". Elle me la sort à chaque fois ces derniers temps, à quelques exceptions près.

― Ethan ! Tu m'aides pas, là ! Allez, s'il te plait, tu sais ce que je veux savoir !

Ah, une variation de son mantra cette fois-ci ! Je secoue la tête, exaspéré par son attitude enfantine. Et dire que c'est l'aînée ! J'hésite à lui parler de mon nouveau match. Je sais qu'elle va immédiatement s'emballer et elle va me forcer à lui envoyer un message de suite. Avec un peu de chance, elle va même m'aider à formuler une phrase d'accroche ! Tu parles d'une chance...

― Ethan, mon petit frère d'amour, tu as quelque chose à me dire ?

Grillé. Mon hésitation m'a perdu. Plus le choix, la harpie ne me lâchera pas !

― Il se peut que j'ai eu un nouveau match.

― Ouhhh, et alors ? Combien cette fois ? Elle est comment ? Tu lui as envoyé un message, j'espère !

Je ne peux m'empêcher de rire face à la surexcitation d'Emma.

― Une question à la fois, c'est jamais possible avec toi, n'est-ce pas ?

Elle ne dit rien, me poussant à répondre à cette flopée d'interrogations.

― On ne voit pas vraiment son visage sur sa photo, sa description ne dit pas grand chose et non je ne lui ai pas encore envoyé de message.

Je garde le pourcentage pour la fin, histoire de la faire mariner un peu au moins. D'ailleurs, son impatience ne se fait pas prier :

― Et le pourcentage ? Tu m'as pas dit le pourcentage !

― 94%.

The Perfect MatchOù les histoires vivent. Découvrez maintenant