31 - Resentment (Théa)

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Mes mains tremblent encore alors qu'ils quittent le bâtiment où je travaille. La peine et la colère se réveillent, presque plus fortes qu'il y a un mois. J'aimerais le confronter, j'aimerais l'oublier. J'enfouis mon visage entre mes mains, retenant avec peine un gémissement plaintif. Puis je prends une longue inspiration. Je suis au boulot. Je dois me reprendre.

Quand ma journée se termine, j'envoie un rapide message à Lola pour lui dire de sortir une bouteille. Il me faut un remontant. Elle me texte en retour pour me confirmer qu'elle m'attend. Je saute dans le premier tram qui passe pour rejoindre son appartement qu'elle partage avec son copain, absent ce soir d'après elle.

Le doigt sur la sonnette, ma meilleure amie ne met pas longtemps à m'ouvrir. Sans un mot, elle me prend dans ses bras avant de me laisser entrer. Sur la grande table à manger sont sortis deux verres et une bouteille de rosé. Nous nous installons l'une en face de l'autre. Elle remplit les deux récipients tout en m'interrogeant :

― Tout va bien ?

J'ai besoin d'elle, de son écoute et de son soutien. Alors, bien que d'ordinaire il faille me tirer les vers du nez pour avouer ce qui ne va pas, je souffle :

― Non.

Elle relève un regard stupéfait sur moi. J'ai désormais toute son attention. Elle sait que c'est on ne peut plus sérieux pour que je l'avoue aussi franchement. Elle m'observe engloutir mon verre cul-sec avant de me demander :

― Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je ferme les yeux un instant pour contrôler l'émotion qui me submerge. Entre mes dents serrées par la colère, je murmure :

― Ethan.

Ses yeux s'écarquillent, l'incompréhension se peint sur ses traits. Elle darde sur moi ses prunelles assombries par la fureur que je sens monter en elle. Elle grogne :

― Qu'est-ce qu'il a fait ? Il t'a contactée ?

Je secoue la tête. J'inspire une grande goulée d'air tandis qu'elle m'offre un nouveau verre que je me retiens de terminer dans la seconde.

― Je l'ai croisé à la bibliothèque.

Encore une fois, je sens la colère, la tristesse et la déception s'emparer de moi. Je balbutie, confuse, les larmes me montant aux yeux :

― Il... Il savait qu'on habite le même quartier... Il savait que je travaillais dans une bibliothèque... Il n'aurait pas dû...

Lola fait le tour de la table qui nous sépare pour enrouler son bras autour de mes épaules. Ma tête trouve sa place naturelle sur son épaule. Comme à chaque fois, cette position me réconforte et m'apaise pour une raison inconnue. Sa main caresse le sommet de mon crâne dans un geste d'une douceur infinie. Petit à petit, je reprends mes esprits. J'articule entre deux reniflements :

― Je lui en veux. Je...

― Chuut... Je sais bien.

Nous restons un moment dans cette position sans rien dire, elle me réconfortant, moi profitant de son réconfort, de sa présence. Quand je m'écarte enfin, elle me considère avec inquiétude. Je sens qu'elle cherche ses mots pour s'exprimer.

― Si... Imaginons... Il s'excusait et que... Je ne sais pas... Sa raison était compréhensible ...

Je comprends mieux son hésitation, maintenant. Je me lève d'un bond et explose :

― Dans quel monde il y aurait une raison d'abandonner quelqu'un aussi lâchement ?!

Elle grimace. Nous savons toutes les deux que jamais je ne pourrais pardonner ce qu'il m'a fait. Ma confiance s'est brisée une énième fois et je ne suis vraiment pas sûre que les morceaux soient recollables. Pourtant, je vois dans le regard aussi ébène que sa peau de mon amie une lueur d'espoir. Espoir que je ne comprends pas, qui ne m'atteint pas.

― Théa... D'après ce que tu sais sur lui, tu ne penses pas qu'il a juste pris peur face à ta confession ?

Les bras croisés, je rétorque d'un ton sec :

― Je ne vois vraiment pas ce qui peut faire peur dans ce que j'ai dit.

Face à mon entêtement, elle lève les yeux au ciel.

― Il a visiblement souffert d'une précédente relation, ne veut sans doute pas s'engager de peur de souffrir et toi, tu lui confies un gros bout de ta vie, de tes peurs et de tes angoisses. Tu ne crois pas qu'il y a de quoi prendre peur ? C'est un grand pas quand même...

Je me rassois en silence, renfrognée. Il est plus simple de me dire qu'il est le seul et unique coupable...

― Je voulais juste lui montrer qu'il pouvait me faire confiance, justement...

Lola frotte mon dos dans un geste rassurant en m'affirmant :

― Je sais. Et ça a sans doute fonctionné. Mais ça a sans doute été dur pour lui à encaisser. Ta confiance, ton malheur.

Un petit sourire nostalgique ourle ses lèvres.

― Tu sais, ce n'est pas évident quand quelqu'un qui a souffert t'accorde sa confiance. C'est beaucoup de responsabilités, tu ne veux pas être celui qui fait souffrir à nouveau.

J'écarquille les yeux en comprenant ce qu'elle essaie de me dire. Je souffle :

― C'est ce que tu as ressenti, toi ?

Elle plonge son regard dans le mien avant de me répondre avec une sincérité désarmante :

― Oui. Tu étais dévastée quand tu es arrivée au foyer, j'ai voulu te prendre sous mon aile mais je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir peur de te blesser d'une manière ou d'une autre... Tu semblais si fragile, si vulnérable...

Ma vue se brouille, je suis émue par son témoignage. Pourtant, elle, elle n'a pas cédé à la peur contrairement à Ethan. Rien de ce qu'elle pourra me dire n'apaisera ma colère. Elle en est consciente puisqu'elle soupire longuement, défaite. Afin de clore cette conversation comme elle ne parvient pas à me convaincre, elle déclare :

― A mon avis, si l'occasion se présente, tu devrais lui laisser une chance...

Un petit rire ironique m'échappe. Lui laisser une chance de m'abandonner une deuxième fois ? De me briser à nouveau ? Hors de question. Je vide mon second verre d'une traite. L'ambiance est à la fois tendue et maussade alors que nous finissons sa bouteille de vin. Je n'arrive toujours pas à croire que Lola prenne son parti. Ne veut-elle pas mon bien ? La confusion est démultipliée par mon alcoolémie et je n'ose pas relancer le sujet de peur que nos mots dépassent notre pensée à cause de notre ivresse.

Elle tente de me persuader de dormir chez elle, elle a peur que je rentre seule. Moi, ce que je veux, c'est justement me retrouver seule, pour digérer toute cette soirée, cette journée. Je veux retrouver des idées claires et saines. Il n'y a que l'air frais du soir qui me le permettra. Le chemin n'est pas si long et il n'est pas si tard. Alors, après une longue lutte, je gagne. Elle me laisse partir en me faisant promettre de la prévenir en cas de problèmes et de lui envoyer un message une fois arrivée.

Lorsque je passe le seuil de mon appartement, enfin seule et bien moins ivre, toute la réalité me rattrape et je me sens plus perdue que jamais. Plus seule aussi, mais pour une fois c'est moi qui l'ai voulu. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.


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