19-Distant light (Ethan)

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Je fixe mon téléphone d'un air presque effrayé. Suis-je allé trop loin ? Va-t-elle deviner que c'est de mon histoire que j'ai parlé ? Je secoue la tête en soupirant. Bien évidemment qu'elle aura compris. Je me frotte le menton, pensif. Après, je n'ai pas dit que c'était moi ce jeune homme dont j'ai parlé. Aussi, je compte sur l'ambiguïté pour faire comme si de rien n'était demain. En dehors de ma sœur, c'est la première fois que j'en parle. Bien que le temps ait guéri mes blessures, la nostalgie et le souvenir n'en sont pas moins désagréables. Je ne sais pas ce qui m'a pris.

Ma jambe est à nouveau prise de tressautement. Agité, je sais que je serai incapable de trouver sommeil. Maintenant, c'est moi qui suis submergé par les souvenirs. Je relis une dernière fois le message de Théa depuis lequel elle ne répond plus. J'espère qu'elle dort d'un sommeil apaisé... Je tais l'angoisse qu'elle se soit fait du mal. Elle ne semble pas en être arrivée à ce point de non-retour. Mais, sa détresse est si profonde que je ne peux m'empêcher de penser au pire.

 Mais, sa détresse est si profonde que je ne peux m'empêcher de penser au pire

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Je verrouille mon téléphone en soupirant. En à peine quelques jours, cette Théa aura réussi à bousculer mes convictions et, déjà, je sais que je glisse sur une mauvaise pente. Je n'ai même pas la volonté d'y résister, je crois. A quoi bon ? Elle m'a touchée plus que je n'aurais voulu et, malgré moi, je lui ai confié une partie de mon histoire. Je laisse tomber mon visage entre mes mains, en proie à milles et une pensées. Il est indéniable que ce soir marque un tournant de la relation qu'on a établit. Rien ne pourra être pareil maintenant que chacun est conscient des failles de l'autre. Plus que "compagnons de confinement", nous sommes en train de passer à quelque chose de plus profond et surtout de plus désespéré. On devient l'ancre qui maintient l'autre à bon port. Et c'est tout ce que je voulais éviter.

D'un geste brusque, révélateur de l'agitation qui me parcourt, j'attrape mon carnet de paroles avant de m'installer à mon bureau. Pour la première fois, ce sont les paroles qui me viennent alors que la mélodie n'est pas encore composée. Oubliant mes habitudes sacrées, le cerveau envahi d'images d'une crinière rousse et de prunelles chocolat, je noircis ma page d'un élan créateur que je n'avais jamais ressenti pour écrire des paroles. Tant de choses ont changées dans mon esprit depuis que je me suis laissé aller à la confession, je n'arrive plus à réfléchir correctement et il n'y a que cela qui puisse m'aider à mettre de l'ordre dans mes idées.

A l'aube, dès que le soleil pointe le bout de son nez, un appel de ma sœur me réveille alors que je me redresse, la joue douloureuse d'avoir été si longtemps contre la surface dure de mon bureau. Je me suis endormi là. Le marchand de sable, après des heures à noircir mon carnet de lyrics, a eu pitié de moi mais pas assez pour me laisser le temps de regagner mon lit. Je me frotte le visage pour me réveiller et saisis mon téléphone pour accepter l'appel.

― Salut, marmonné-je de ma voix éraillée par le réveil récent.

― Hello ! Ça va ? T'as ta petite voix de nuit d'insomnie..., déclare-t-elle d'un ton soucieux.

― Tu trouves ? Pourtant, je me suis endormi... Sur mon bureau.

― C'est bien ce que je pensais, donc.

Un vacarme se fait entendre du côté d'Emma. Je grimace et éloigne le téléphone de mon oreille jusqu'à ce que ça se calme et que je n'entende que des chuchotements. Ceux d'Emma sont agacés et ceux qui lui répondent sont plus forts et émis par une petite voix joyeuse que je reconnaitrais entre mille. Je souris. Ma nièce a encore fait des siennes et, maintenant qu'elle sait à qui sa mère parle, elle ne lâchera pas l'affaire et Emma devra lui céder l'appareil pour au moins quelques minutes. D'ailleurs, quelques secondes plus tard, la voix de Romane me parvient, plus forte. Sa mère a cédé.

― Coucou, Tonton !

― Salut, ma puce. Ça va ?

― Oui ! s'exclame-t-elle. Eh tu sais Tonton, c'est trop cool de pas aller à l'école. Et pis, tu sais, c'est bientôt mon anniversaire !

― Ah bon? Tu es sûre ?

Derrière le combiné, j'imagine sa petite bouille boudeuse, identique à celle que sa mère avait plus jeune quand je l'embêtais. Quoique, après réflexion, elle l'a toujours et s'en sert comme une arme avec son mari qui ne lui résiste pas.

― Tonton, t'avais oublié ou tu me fais une blague ?

Sa voix est presque triste et ça me fait un pincement au cœur.

― Je rigole, Romane. Bien sûr que je n'avais pas oublié.

― Ouf ! Tu m'as fait peur, Tonton ! Dis, tu viendras à mon anniversaire ?

― Ça dépend si on a le droit de sortir, ma puce. Pour l'instant, on n'a pas le droit.

― C'est trop nul. Je veux que tu viennes, moi...

Vite. Trouver une esquive. Lui faire penser à autre chose que ce confinement qui doit peser lourd sur les épaules d'une petite de presque 7 ans

― Dès qu'on peut sortir, je t'emmènerai où tu veux. On se fera une sortie rien que tous les deux.

― Sans maman et papa ? Juste avec toi ? s'extasie-t-elle.

― Oui.

― On pourra aller à la bibliothèque ? J'ai plus de livres à lire...

― Bien sûr, ma puce.

― Youpiiii !

Derrière elle, j'entends ma sœur tenter désespérément de récupérer son téléphone. Après une longue bataille de chuchotements, ma nièce me dit au revoir et laisse le smartphone à sa mère qui souffle de soulagement.

― Enfin ! A nous deux. Qu'est-ce qui te tracasse au point que tu n'en dors plus ?

Je me cale contre le dossier de ma chaise en soupirant, ce qui n'échappe pas à mon observatrice préférée.

― Ethan, parle-moi. Tu sais que je suis là pour toi.

― Ce n'est rien. Pas de quoi s'inquiéter.

― Permets-moi d'en juger par moi-même, si ça ne te dérange pas. Je te connais, t'aimes bien garder les choses pour toi et les laisser t'empoisonner.

Je lève les yeux vers le plafond. Je ne peux nier cette manie. Mais j'ai peur qu'elle s'emballe à la seconde où je vais lui dire que mes tourments sont provoqués par cette fichu application. Et, en même temps, je suis incapable de lui mentir. Alors, ai-je vraiment le choix ?

― Disons que je ne suis pas à l'aise avec la tournure que prend cette inscription sur l'application de rencontre.

Emma observe un moment de silence. Elle doit sans doute réfléchir à l'angle d'approche à adopter avec moi. Et ça ne doit pas être chose facile, au vu du peu d'informations que je lui ai accordées.

― Ethan... Elles ne sont pas toutes pareilles. Si tu ne veux pas en parler, OK, je comprends... Mais, promets-moi au moins de lui laisser une chance. Apprends à la connaître avant de te braquer et faire l'idiot.

Le cœur au bord des lèvres, ému par le ton employé par ma sœur, je ne sais pas quoi lui répondre sur le coup. C'est bien la première fois qu'elle ne me force pas à la confession. Et je lui en suis reconnaissant. Encouragé par cet effort de sa part, je souffle :

― Promis.

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