39 - No matter what (Ethan)

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Depuis notre rendez-vous au restaurant, nous avons pris l'habitude de nous voir presque chaque soir, une fois nos journées de travail terminées. Pour boire un verre, regarder une série ou un film ou juste écouter de la musique en discutant de tout et rien. Théa, bien que toujours sur sa réserve, se laisse de plus en plus aller à mon contact. Elle s'ouvre difficilement mais je suis confiant. Je sais que j'arriverais à regagner sa confiance.
Seul bémol aujourd'hui : mon dernier enregistrement au studio a pris du retard et j'arrive quasiment à la fermeture. Essoufflé, je me hâte de me rendre à la bibliothèque en espérant ne pas arriver trop tard. Par chance, la porte cède lorsque je la pousse pour pénétrer dans le bâtiment. J'écume les rayonnages à la recherche de Théa, ne croisant rien d'autres que des livres. Aucun usager, aucun personnel, personne.
Lorsque que je monte les escaliers pour parvenir au premier, une légère mélodie me guide vers un rayon en particulier. Plus j'approche, plus la voix cristalline me charme et me transporte si bien que j'en oublie que je venais chercher Théa. Là, tout de suite, mon seul but est de trouver à qui appartient cette voix sublime. Et quelle n'est pas ma surprise lorsque je tombe nez à nez avec ma rousse préférée, qui s'interrompt subitement, les yeux écarquillés, surprise. Nous nous dévisageons un moment, tous deux bouche-bée. Je finis par briser le silence en gloussant :
― Tu m'avais caché que tu chantais.
Je lis dans ses prunelles la gêne alors que ma remarque n'était qu'une blague. Je n'ai pas le temps de la rassurer qu'elle se justifie, embarrassée :
― Je ne l'ai pas vraiment caché, je ne t'en ai tout simplement pas parlé.
Une idée germe dans ma tête et je dois puiser dans mes ressources disponibles pour ne pas montrer mon excitation. Je ne veux pas attirer sa curiosité. Ce n'est pas le moment pour cela. Je dois encore lui montrer que je suis digne d'elle pour l'instant. Changeant donc de sujet, je demande en jetant un regard circulaire autour de nous :
— Comment se fait-il que tu sois seule ?
Elle hausse les épaules d'un air nonchalant en évitant mon regard mais j'aperçois une légère rougeur prendre possession de ses pommettes grâce à son masque baissé.
— J'avais encore quelques livres à ranger.
Les yeux plissés, je m'appuie d'une épaule contre un rayonnage. Je la taquine, un sourire au coin des lèvres :
— Tu m'attendais ?
Je la vois se crisper, le bras en l'air, alors qu'elle s'apprêtait à ranger un livre. Elle soupire en l'abaissant puis hoche la tête. Ses paupières se ferment et, malgré le masque, je peux percevoir son menton trembloter.
— Théa ?
Elle ne bouge pas d'un millimètre, comme si elle était paralysée. Je crois comprendre ce qu'il lui est passé par la tête. Sans plus attendre, je la tire par le bras pour l'enserrer dans mes bras. Son visage au creux de mon cou, je sens ses larmes couler contre ma peau. Je l'étreins un peu plus fort. Je caresse son dos pour la réconforter sans dire un mot. Il n'y a pas grand-chose à dire. Elle s'est crue abandonnée à nouveau. A cause de son père. A cause de sa mère. A cause de ce que j'ai fait. Et c'est donc en partie de ma faute si elle est dans cet état.
Pourtant malgré tout ça, elle m'a attendu. Elle m'a laissé une chance de me pointer. Et ça, c'est le plus bel espoir qu'elle puisse me fournir. Je n'en demandais pas tant mais je suis ravi qu'elle m'ait laissé cette occasion de me montrer à la hauteur, de lui prouver que, désormais, je serais toujours là.
Lorsqu'elle se calme et que seuls ses reniflements résonnent dans l'immense bibliothèque vide, elle s'écarte de moi sans oser me regarder. Je déglutis en lui saisissant la main avant de déclarer :
— Je suis désolé.
Elle relève enfin la tête en s'essuyant le coin des yeux puis m'interroge :
— Pourquoi ?
Je balance ma tête en arrière, mon esprit bouillonnant de sentiments contradictoires. En revanche, celui qui prédomine est la colère. Colère dirigée contre l'imbécile que je suis.
— D'avoir été con et d'avoir empiré l'insécurité constante que tu dois ressentir à cause de ce que tu as vécu dans ton enfance.
Je baisse le regard pour croiser le sien avant d'ajouter :
— Et désolé d'être en retard, j'ai été retenu au studio.
Jouant avec son piercing au-dessus de la lèvre, elle semble juger la sincérité de mes excuses. Enfin, elle finit par hocher la tête, ce qui doit être bon signe. Un peu hésitant, je souffle :
— Toujours bon pour ce soir ?
Son sourire revient. Elle s'exclame :
— Bien évidemment !
Alors que Théa verrouille les portes de la bibliothèque, je ne peux m'empêcher d'aborder le sujet qui me turlupine et lui dire ce que j'ai sur le cœur :
— Plus jamais je ne te laisserai tomber. Plus jamais je ne t'abandonnerai. Je resterai à tes côtés, tant que tu voudras de moi.
Ses doigts se figent sur la poignée alors qu'elle relève les yeux vers moi. Ses prunelles brillent d'un mélange d'émotions que je ne parviens pas vraiment à distinguer. En revanche, son sourire est doux. Il allège le poids qui pèse sur mes épaules.
Une fois arrivés chez moi, je propose à Théa une boisson et, à ma plus grande surprise au vu des températures infernales à l'extérieur, elle me demande un chocolat chaud. Devant mon air stupéfait, elle hausse les épaules avec un grand sourire. Je secoue la tête en laissant échapper un rire.
Quand mademoiselle a obtenu sa boisson tant désirée et que nous sommes tous deux installés dans le canapé, je lance la série. Plusieurs épisodes passent, le chocolat est rapidement englouti et la fatigue commence à se faire sentir. Théa baille et s'installe plus confortablement, les pieds ramenés sous ses fesses. Je la recouvre du plaid pour la maintenir au chaud.
Son regard reconnaissant me fait fondre et je dois faire preuve de beaucoup de volonté pour ne pas craquer. Finalement, après un épisode supplémentaire, la tête de ma rousse préférée atterrit sur mon épaule alors qu'elle s'endort. J'ose à peine bouger pour attraper la télécommande et éteindre la télé.
Je reste un moment à admirer son visage paisible : ses traits sont détendus et un léger sourire ourle ses lèvres. Il n'y a pas de plus belle vision que regarder cette femme endormie. Mon ventre qui gargouille ne semble pas d'accord avec cette sieste improvisée. Je tente alors de me lever pour aller préparer le repas mais je ne manque pas de la réveiller.
Ses paupières papillonnent et elle pose sur moi ses prunelles ambrées embrumées. Elle se redresse en se frottant les yeux. Elle murmure un petit "désolée" qui me fait éclater de rire. Elle relève son visage vers moi, les sourcils froncés, confuse. Replaçant une mèche derrière ses oreilles, je souffle :
— Tu n'as pas à t'excuser pour ça !
Ses joues se teintent de rouge alors qu'elle détourne le regard, embarrassée. Elle attrape son téléphone et écarquille les yeux. Me surprenant au passage, elle s'exclame :
— Déjà cette heure-ci ! Je devrais rentrer !
— Hors de question.
Elle se tourne vers moi avec une expression que je n'aurais jamais imaginé se peindre sur ses traits. Un sourcil relevé, ses iris envoyant des éclairs, elle me demande d'un ton acéré :
— Comment ça "Hors de question" ?
Je secoue la tête en souriant et dissipe aussitôt le malentendu que j'ai laissé transparaître :
— Hors de question que tu rentres chez toi le ventre vide.
Pendant un moment qui me semble être une éternité, ses traits restent figés, comme si elle digérait l'information. Puis, ses épaules se décrispent, un soupir lui échappe et les coins de ses lèvres finissent enfin par se relever. Amusée, elle s'esclaffe :
— Tu n'aurais pas pu le dire plus tôt ?
Je hausse les épaules. J'avoue que je n'avais d'abord pas pensé qu'il puisse y avoir un quiproquo dans mes propos. Je me rends bien compte que j'ai été maladroit. Mais, après coup, quand je vois ce sourire détendu éclairer son visage, je ne regrette pas une seconde ma maladresse.

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