32 - Ashes of Eden (Ethan)

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Lorsqu'Emma vient récupérer Romane, je suis à deux doigts de m'endormir devant le dessin-animé dont les images défilent sur l'écran. Je fais entrer ma sœur dans l'appartement et lui propose une boisson le temps de la fin du film. Je sens qu'elle épie mes moindres faits et gestes, les sourcils froncés, les yeux plissés, le nez retroussé. Elle doit flairer mon manque de sommeil. Chose que je ne pourrais pas nier. Je n'ai pas réussi à fermer l'œil de la nuit. Et ce, malgré l'épuisement qui me taraudait d'avoir passé ma journée avec une enfant dynamique et énergique de sept ans.

Je dépose son café devant elle sur la table avant de m'asseoir en face d'elle. Elle entoure la tasse de ses mains sans me lâcher de son regard suspicieux. Je bois ma propre boisson sans broncher. J'aimerais pouvoir éviter d'en parler. Je suis encore secoué par cette rencontre à laquelle je ne m'attendais absolument pas. Quel idiot je suis ! Bien sûr qu'il y avait des risques que je l'y croise puisqu'elle est bibliothécaire et que nous habitons le même quartier...

― Ethan, ça va ?

Je lui adresse un sourire et un infime hochement de tête qui ne parviennent pas à la convaincre.

― Si ça, c'était un sourire... Désolée mais c'est loupé. Ça ressemblait plus à une grimace.

Je la fusille du regard mais elle n'y prend pas garde. Elle m'annonce, déterminée :

― On ne part pas sans que je sache ce qu'il t'arrive. T'as ta tête des jours d'insomnie et t'as l'air ailleurs.

Je me rencogne contre le dossier de ma chaise en soupirant. Si seulement elle était moins observatrice... Ou moins protectrice... Malheureusement pour moi, elle est les deux et elle ne lâchera jamais l'affaire. A contrecœur, je marmonne :

― On a croisé Théa à la bibliothèque...

Emma écarquille les yeux avant de se reprendre rapidement. Pensive, elle me demande :

― Et comment tu as réagi ?

― Je n'ai pas su réagir et elle m'a ignoré tout le long, parlant à Romane même quand cela m'était destiné.

L'expression embêtée de ma sœur alimente cette colère dirigée contre moi-même. J'aurais dû faire ou dire quelque chose. Elle joint ses mains sur la table puis ancre son regard au mien avec on ne peut plus de sérieux.

― Ethan, je vais te poser une et une seule question à laquelle je veux que tu me répondes honnêtement. Et sans détourner le sujet. Compris ?

J'opine du chef, presque intimidé par ma sœur en cet instant. Elle a revêtu sa casquette de maman et, dans ces moments-là, il vaut mieux ne pas moufter.

― Est-ce que tu es attaché à elle ? Est-ce que... tu l'aimes ?

Je la considère, bouche-bée. A-t-elle vraiment osé poser cette question ? Et moi, que vais-je répondre à celle-ci ? Dans mon esprit, tout n'est que confusion. Mes paupières s'abaissent, il faut que je fasse le vide. J'ai apprécié chacun des moments partagés avec Théa. Elle est drôle, gentille, un peu maladroite... Jolie, bien évidemment. Une fois la barrière de ses paroles mordantes franchie, on peut voir à quel point tout en elle n'est que douceur. Les semaines qui ont suivies notre rencontre virtuelle ont été les meilleures que j'ai vécues depuis longtemps. Et ça me manque. Cette sensation d'être vivant, d'être sur la même longueur d'onde avec quelqu'un. J'ai trouvé ma réponse.

― Je pense qu'il serait beaucoup trop tôt pour parler d'amour... On ne se connaît pas à ce point... Mais, oui, je suis attaché à elle.

Le contentement qui s'affiche sur le visage d'Emma me décontenance. Elle s'attendait à ce que je lui réponde ça ? Un gloussement lui échappe face à ma réaction. D'un air attendri, elle affirme :

― Oui, je savais ce que tu allais répondre. Parce que je ne t'avais jamais senti aussi heureux au téléphone que depuis que tu as laissé une chance à cette Théa. Il fallait juste que tu le dises à voix haute pour le comprendre.

La prise de conscience est suivie par une sensation d'abattement. J'ai tout foutu en l'air. A quoi cela me servirait-il de savoir ça maintenant ? D'autant plus que ça ne change rien au fait que je ne veux plus subir de relations amoureuses. A nouveau, comme si elle lisait dans mes pensées, Emma m'ordonne :

― Non. Oublie tes peurs. Oublie-les. Repense à ce que tu sais de Théa. Te paraît-elle du genre cruelle ou même méchante ? Repense à ce qu'elle a vécu, elle aussi. Repense à cette confession qu'elle t'a faite. Elle, elle t'a fait confiance. Peut-être devrais-tu lui rendre la pareille et vous laisser une chance, tu ne crois pas ?

Je ferme les yeux comme pour m'isoler, un tas d'émotions se bousculent en moi. Tellement de peurs... Celle d'être blessé à nouveau, celle de blesser l'autre comme j'ai été blessé, celle de s'engager en prenant tant de risques... Mais d'autres viennent donner du contraste : le manque de cette présence solaire, l'attachement, le bonheur ... La main d'Emma sur la mienne me fait revenir à moi. Elle semble hésiter mais se lance tout de même :

― Je ne veux pas t'influencer d'une quelconque manière, tu es assez grand pour faire tes propres choix. Mais, de ce que tu m'as dit, elle semble être digne de confiance. Alors, et je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, je te conseille vraiment d'oublier tes peurs. Lance-toi dans le vide. Je serais là s'il s'avère qu'elle n'est pas à la hauteur de tes attentes. Mais arrête de rester bloqué dans le passé, ne laisse pas le passé te gâcher la vie.

Je déglutis avec peine, la gorge serrée par l'émotion que provoque ces paroles. Quelle idée d'être si bonne parleuse ! Je ne dirais pas que je suis complètement convaincu, je dois encore prendre le temps d'y réfléchir à tête reposée mais... L'idée se fait tentante... Puis, un élément me revient en tête, assombrissant à nouveau mes pensées.

― J'ai déjà tout gâché avec elle, de toute façon.

― Peut-être, oui.

Je lance un regard entendu à ma sœur. Merci pour le soutien ! Elle se défend, paume en l'air pour m'apaiser :

― Eh, je suis honnête ! Et je n'avais pas fini !

Je lui fais signe de poursuivre, tout de même vexé comme un pou. La vérité, ça fait mal.

― Mais peut-être que non. Il n'y a qu'une seule manière de le savoir. Tente ta chance. Reconquéris-la !

Ma nièce saute sur les genoux de sa mère et, par la même occasion, me sauve de cette conversation. Trop occupée par le récit des aventures de sa fille, l'attention d'Emma est détournée. Elle finit son café distraitement avant de me prévenir qu'elle doit y aller. La seule chose qui me prouve qu'elle n'oublie pas est cette phrase qu'elle me glisse à l'oreille avant de s'en aller avec Romane :

― Tu n'as rien à perdre à essayer. C'est ça ou sans doute passer à côté de ta vie.

Sur ce, elle me gratifie d'un clin d'œil complice. Puis elles me saluent et quittent l'appartement, celui-ci retrouvant son calme initial pour mon plus grand bonheur.



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