6-A little bit off (Ethan)

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Un rire amer m'échappe en lisant son message. Qu'on fasse connaissance ? Elle semblait pourtant rebutée par mon message d'accroche il y a quelques instants et là, elle voudrait fermer les yeux sur, je cite, "mon manque de classe et de subtilité". A n'en pas douter, ce 94% lui monte à la tête et elle s'est résignée à faire confiance à cette application de malheur. Je ne peux pas m'empêcher de lui répondre :

Je verrouille mon téléphone dans un soupir las

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Je verrouille mon téléphone dans un soupir las. J'avais deux hypothèses suite à ce message : soit elle accrochait à mon "humour", soit elle ne le faisait pas et me fichait la paix. Il a fallu que ce soit ni l'un ni l'autre et qu'elle croie dur comme fer à cette compatibilité qui n'est qu'un nombre dépourvu de valeur ou de sens. Je secoue la tête et, dans un ultime effort, me traîne jusqu'à mon lit sur lequel je me laisse tomber.

Je ne sais pas si ce sont les bières ingurgitées ou l'effet THE PERFECT MATCH mais, ce soir, le moral n'est pas au beau fixe et je me sens plus aigri que jamais. Pire qu'un vieux alors que je n'ai que vingt-cinq ans. J'imagine que vous vous demandez ce qui a bien pu me rendre aussi désabusé. Et bien, c'est une accumulation d'évènements merdiques qui m'a poussé à me concentrer sur mon travail et ma passion. Ainsi, pas de risques d'être déçu par autrui. Il n'y a que moi, les instruments et le son si apaisant de la musique qui se répand de mon casque jusqu'à mes veines, comme une bonne dose de vitamines en intraveineuse. Cela suffit à me rendre heureux. Enfin, à simuler un semblant de bonheur. Et c'est tout ce dont j'ai besoin. Est-ce que je ne me lasse pas d'être seul ? Parfois, si. Puis, mon esprit s'éclaircit et ma raison me rappelle les motifs de cette solitude, me passant cette envie d'un coup sec.

Et maintenant, vous vous demandez pourquoi j'ai accepté de m'inscrire sur cette application. La réponse est simple : ma sœur ne m'aurait pas lâché et m'aurait fait vivre un Enfer jusqu'à ce que je finisse par dire "Oui". Alors, à contrecœur, je me suis collé à ce questionnaire qui n'en finissait pas sous le regard attentif d'Emma qui surveillait la véracité des informations que je fournissais à l'IA - et qui se permettait de donner son avis, évidemment. Je me suis soumis avec lassitude aux conversations qui ont suivies mon inscription. La banalité affligeante de ces deux femmes m'avait laissé de marbre. Certes, je n'en attendais pas plus et n'avais fourni de mon côté aucun effort pour alimenter les conversations. Pour autant, malgré mon entêtement, j'ai envie de croire à tout ça. Envie de croire que c'est possible d'aimer et d'être aimé sans forcément souffrir au bout du compte. Envie de croire qu'une relation, peu importe sa nature, n'est pas vouée à l'échec...

C'est sur ces ruminations que je m'endors en travers de mon lit, les pieds qui pendent par dessus bord, mon taux d'alcool facilitant le sommeil. Ne vous inquiétez pas, ces jérémiades et confessions nocturnes sont réservées à Ethan bourré. Demain, vous retrouverez l'homme dur et fier que vous pensiez que j'étais.

Le lendemain, je me réveille avec un mal de crâne intense. Bon Dieu, je ne suis plus habitué à boire autant et il n'a fallu que quelques malheureuses bières pour me mettre KO. Les rayons de soleil percent à travers les stores entrouverts que j'ai oublié de fermer la veille et me grillent le peu de cervelle fonctionnelle qu'il me reste. Dans un grognement, je remonte la couette au dessus de ma tête dans l'espoir d'atténuer cette douleur qui me lance au niveau des tempes. Je gémis. Je me sens vaseux et le moindre geste esquissé me donne la gerbe.

Je sors ma main à l'extérieur de mon cocon protecteur et tâtonne le bois de ma table de nuit à la recherche de mon téléphone. Coup de chance. Malgré mon ivresse, j'ai eu le bon sens de le poser sur le petit meuble d'appoint près de mon lit. Je l'attrape pour le glisser sous le drap, ravi que l'alcool laisse intact certains de mes neurones, jusqu'à ce que j'allume l'écran. Je ferme aussitôt les yeux face à la trop grande luminosité qui me vrille le cerveau dans l'instant. J'ouvre à peine l'un des deux afin de la diminuer et lâche un soupir satisfait lorsque la lumière est moins agressive.

Je supprime les notifications des réseaux sociaux qui ne m'intéressent guère. Ces derniers temps, confinement oblige, les gens s'ennuient et ont tendance à le crier sur tous les toits, ou plutôt sur toute la toile. Mon fil d'actualité en devient empli d'une connerie sans nom. A cette pensée, je lève les yeux au ciel. J'efface tout sans distinction. Même ces annonces de nouveaux articles de presse à propos de la situation actuelle. Les titres suffisent en eux-mêmes à me blaser. La situation n'évolue pas, ne s'améliore pas. Rien de nouveau sous le soleil.

Puis, mon pouce s'arrête à quelque centimètres de l'icône lorsque je vois que la prochaine est de THE PERFECT MATCH. Je hausse les épaules. Je ne peux pas nier : je suis tout de même curieux de lire ce qu'elle a à dire. J'ouvre l'application sans réfléchir et ouvre le chat. Sa réponse me surprend autant qu'elle me renfrogne. Sans avoir répondu à ma question, elle m'en pose une à son tour :

Je grimace face à ses propos crus qui sont loin d'être injustifiés

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Je grimace face à ses propos crus qui sont loin d'être injustifiés. Entre ma réticence vis-à-vis de cette application et ce premier message peu classe, je comprends qu'elle doute de mes intentions. Et, dans un sens, c'est ce que je voulais. C'est ce que je tente de faire à chaque fois avec les quelques Matchs que j'ai. Pourtant, elle est la première à me balancer cette vérité dans la figure. Ça fait tout drôle. Ce n'est pas moi. Mais je ne peux pas me permettre d'être moi. Parce que... Si je suis moi, comment vais-je ériger ces barrières pour me protéger ? Non. La seule option est celle de passer pour un petit con prétentieux voire obsédé sur les bords pour repousser n'importe quelle femme un tant soit peu intelligente ou sensée. Ce n'est pas moi, mais c'est surtout la seule solution.

Si la décision avait été mienne, je n'aurais jamais crée de profil sur ce genre d'application pour justement éviter tout cela. Et chaque Match me rappelle ce que j'évite. Encore plus quand l'IA nous estime hautement compatibles... Et si ce n'était pas du pipeau et que nous l'étions réellement ? Je ne peux pas prendre le risque de baisser ma garde. C'est une erreur que je ne suis pas prêt de refaire. C'est pourquoi dans toute la splendeur de mon art, je lui envoie :

 C'est pourquoi dans toute la splendeur de mon art, je lui envoie :

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The Perfect MatchOù les histoires vivent. Découvrez maintenant