29 - Burning out (Ethan)

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Le brouhaha qui m'entoure ne parvient pas à percer le brouillard de mes ruminations. Un mois que je vis dans cet état proche du mort-vivant. Non, pas un mort-vivant, sinon je ne sentirais pas ce constant pincement au cœur et ce manque qui me vrille les tripes. Normalement, je devrais être en train de jouer avec ma nièce, personne à l'honneur aujourd'hui. Mais je suis incapable de faire semblant.

J'avale la fin de mon verre cul-sec sous le regard désapprobateur de ma sœur qui vient aussitôt à mon encontre d'un pas vif. Je lève les yeux au ciel. C'est parti pour une belle leçon de morale de sa part. Je n'y couperai pas. Elle prend place à côté de moi sur le banc. La fête a lieu dans le jardin et, je dois l'avouer, ils ont mis le paquet. Des tonnes de décorations plongent leur extérieur dans une ambiance festive, ils ont déniché une table de jardin ainsi que des bancs afin d'accueillir, en petit comité masqué bien sûr, la famille. Bien qu'il ne reste pas grand-chose de cette famille en ruine. Me sortant de mes pensées, Emma ronchonne :

― Ethan... Pourrais-tu faire un petit effort ? Je sais que tu es au fond du trou mais ta nièce sera déçue ... Déjà que ses grands-parents maternels ne nous ont pas honorés de leur présence...

Je ne parviens pas à retenir ce rire sarcastique qui gonfle dans ma gorge. Prévisible. Nos parents n'ont jamais bougé un petit doigt pour nous élever, s'en tenant au strict minimum. Il n'ya donc rien d'étonnant qu'ils brillent par leur absence. Comme ils l'ont toujours fait. Ma sœur ignore mon amertume exacerbée par l'alcool :

― Tu es le seul, de mon côté, à pouvoir remonter la barre. Et puis, je te rappelle que tu es son oncle et parrain. Alors comporte-toi comme tel.

Je pose un regard désabusé sur elle. Je sais ce que je suis pour Romane. Aucun besoin de me le rappeler. Cependant, je ne savais pas qu'il y avait un comportement typique qui allait de pair avec. Elle devine mes pensées. Aussitôt ses prunelles azur, semblables aux miennes, lancentdes éclairs qui devraient me foudroyer sur place. Mais ils n'en font rien. La douleur et le nectar aviné anesthésient mes réactions.

― Je ne voulais pas faire ça là et maintenant mais tu ne m'en laisses pas le choix.

Elle fait une pause pour étudier ma réaction mais encore une fois, je ne cille pas. Sa mâchoire se crispe alors qu'elle reprend :

― Il faut que tu te bouges, il faut que tu te reprennes, c'est plus possible de te voir comme ça.

Agacée, elle agite sa courte chevelure blonde avant de soupirer. L'ombre de l'inquiétude assombrit ses billes céruléennes.

― Soit tu arrêtes d'avoir peur et tu la reconquiers je ne sais comment. Soit tu l'oublies, tu passes à autre chose. Il faut que tu cesses de ruminer, de te laisser mourir à petit feu comme tu le fais ces derniers temps.

Elle s'arrête, les lèvres pincées. Ça devait faire un moment qu'elle se retenait de me dire tout ça. Je le sens à sa posture crispée qui attend ma réponse. Pourtant, je me contente de lui répondre en haussant les épaules. Et il n'en fallait pas plus pour la désespérer davantage. Alors elle se rabat sur une stratégie plus mesquine. D'un geste rapide, elle attrape la bouteille de vin la plus proche et, accessoirement, la seule sur la table.

― Plus de vin tant que tu n'auras pas joué ton rôle puisque tu ne sembles pas vouloir faire d'effort. On reparlera plus tard de ton comportement de larve.

Sur ce, elle me laisse sans un mot de plus. Je la suis du regard s'éloigner avec mon précieux. Après quelques grognements et marmonnements dans la barbe que je n'ai pas, je me lève pour rejoindre Romane qui joue dans la cabane qu'elle a eu en cadeau de la part de ses grands-parents paternels. Accroupi, je toque à la porte rouge flamboyant. Le visage de ma nièce apparaît par la petite fenêtre qui la jouxte. Ses prunelles, vertes comme celles de son père, me jaugent. Sans me faire entrer, elle me questionne :

 ― Qu'est-ce que tu as, Tonton, aujourd'hui ?

Pris au dépourvu, j'écarquille les yeux. Elle ajoute, l'air embêté :

― T'es pas drôle et tu boudes, on dirait.

Un petit rire m'échappe et cela fait du bien. Des jours que je n'avais pas ne serait-ce que souris. La perplexité de Romane se lit sur ses traits, elle me dévisage comme si je devenais fou. Je glisse sur le sol pour m'asseoir en face d'elle. Je ne sais pas pourquoi mais je me confie à ce petit bout qui n'y comprendra sans doute pas grand-chose.

― Je ne boude pas, ma puce. Je suis juste...

Je cherche mes mots sans succès. Quel adjectif est le plus adapté pour décrire cet état d'esprit dans lequel je suis ? Une sensation d'aspiration par le néant, comme si on tentait d'absorber mon énergie vitale. Toujours aussi perspicace, Romane propose :

 ― Triste ?

J'arbore un faible sourire en acquiesçant. Oui, sans doute. Je n'aurais pas pensé à la tristesse dans un premier lieu mais c'est sans doute la manière la plus simple de lui faire part du mal-être que je vis. Ma nièce fronce les sourcils.

― Pourquoi ?

Je soupire. Parce que je suis un sombre idiot qui gâche tout ce qu'il a de bon dans la vie ? Parce que j'ai tellement peur d'être blessé que j'ai fait du mal à la seule personne qui méritait ma confiance ? J'enfouis mon visage entre mes mains, retenant mes larmes avec peine. J'en ai à peine parlé avec Emma, j'ai préféré enfouir tout ça dans un tiroir de ma mémoire fermée à double tour. Et cette discussion fait tout ressortir. Pour Romane, je décide de faire simple.

― Parce que j'ai été méchant ?

La surprise se peint sur le visage juvénile de la petite fille. D'un pas décidé, elle sort de la maisonnette pour me rejoindre. Elle se plante devant moi, les mains sur les hanches. Dans cette position, elle me fait plus que jamais penser à sa mère. Ses lèvres sont pincées en une moue boudeuse alors qu'elle souffle :

― Menteur !

Je n'ai pas le temps de dire quoique ce soit qu'elle s'explique, les traits radoucis :

― T'es le plus gentil des tontons et des parrains.

Les larmes aux yeux, je lui souris. Son innocence est comme un baume au cœur. Elle s'élance à mon cou pour me faire un câlin. Je l'accueille entre mes bras pour la serrer contre moi. Son odeur de savon au bubble gum m'emplit les narines et, pour une raison inconnue, m'apaise. Lorsqu'elle s'écarte, une lueur espiègle pétille dans ses iris. Les yeux plissés, j'attends avec appréhension ce qu'elle va dire.

― C'est quand qu'on fait notre sortie tous les deux ?

Le sourire me monte aux lèvres. Si j'avais su que ma nièce était mon remède, je l'aurais piquée à ses parents bien plus tôt. Au lieu de ça, je compte bien rattraper le temps perdu.

― Je vais voir avec Maman pour que tu viennes à la maison ce week-end !

― Youpiii ! s'exclame-t-elle en courant raconter à tout le monde qu'elle passera le week-end chez son oncle.

The Perfect MatchOù les histoires vivent. Découvrez maintenant