La chute des Héros p2

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- Et bien alors gamin, on a la coulante ? Le vieux soldat se fendit d'un sourire, révélant une rangée de dents gâtées et tordues. T'fais pas de bile, peut rien nous arriver de là où l'on s'trouve. Les Armées Libres vont enfin écraser la Catin Royale et son familier. Fais-moi confiance gamin, ce soir nous fêterons tous la paix retrouvée, et toi tu pourras retourner à ta ferme, avec un souvenir à raconter à toutes les jeunes femmes du village.


Tôlem feignit de ne pas entendre la remarque du vieux vétéran borgne, ni de voir son sourire narquois. L'expérience du vieil homme ne le trompait pas. Cela faisait bien quatre fois que le garçon s'éloignait à la hâte, pour se cacher derrière un maigre bosquet d'épineux afin de soulager sa vessie et de se délester d'un trop plein de peur, et son ventre continuait encore à se tordre, le forçant à se dandiner d'une jambe sur l'autre.

Il essuya d'un revers de bras la sueur froide qui lui perlait le front, et adressa un timide regard au vieux soldat.


- Comment pouvez-vous être si sûr de vous ? Finit-il par lâcher faiblement.


- Serais-tu aveugle gamin ? Je te l'ai pourtant déjà expliqué mille fois ! Ouvre grand tes yeux et contemple devant toi la plus grande armée jamais réunie par les royaumes libres ! s'agaça le vétéran borgne, englobant d'un large mouvement de bras le plateau où ils se trouvaient. Contemple tout ces étendards bariolés et ces blasons décorés. Chacun d'entre eux représente une armée. Une armée pour chaque Cité Libre. Tous ont répondu à l'appel du Conseil. Une décision historique gamin. Là, devant toi, les fiers Hoplites d'Uguria la Resplendissante. Là-bas, les féroces Chevaucheurs de Krétas venus de Bréron. Ici, les tirailleurs de Gortyn... Quatorze armées, soixante-cinq mille hommes et femmes, pour stopper la Putain Royale et ses vingt milles fous. Et ce n'est pas tout...


D'un bref mouvement de tête, il désigna une horde de soldats hétéroclites, qui se trouvaient déjà mis à hauteur du plateau, non loin d'une importante troupe de fantassins vêtus d'armures noires.


- Gadr'k et sa Meute... Les mercenaires ont été attirés par l'odeur du sang... souffla-t-il, comme par peur d'être entendu. Regarde bien Tôlem, je suis prêt à parier l'œil qui me reste que tu n'as encore jamais vu de représentant des Races Anciennes pas vrai ? Peut-être même n'as-tu encore jamais vu de non-humain depuis le fin fond de ta ferme ? Alors observe bien Gadr'k et sa Meute. Il est l'un des derniers de sa race de maudit Ancien, du temps d'avant la chute. Et c'est un Héraut gamin. Tu sais ce que ça veut dire ? Il vient ici dans l'espoir d'un bon carnage, celui qui fera de lui un Dieu...


De là où ils se trouvaient, la Meute ressemblait à un attroupement de créatures étranges et disparates qui semblaient trépigner d'impatience à l'idée de se jeter dans la bataille. Le vétéran avait vu une nouvelle fois juste. Tôlem, qui ne quittait sa ferme qu'en de très rare occasion, ne reconnaissait pas la moitié des créatures qui composaient la troupe de mercenaires. Il reconnut seulement un Sylvestre, semblable aux descriptions qu'il avait lu dans ses livres d'enfance, avec sa peau verdâtre recouverte de mousses et de lichens. Pourtant, même au sein de cette troupe composée essentiellement de non-humains, il était impossible de ne pas identifier leur chef, Gadr'k.


Alors c'est ça, un foutu Ancien, pensa Tôlem réprimant un frisson glacé.


La créature ressemblait à une sorte d'immense lézard bipède couleur lapis-lazuli, deux fois plus grande qu'un homme adulte, et dont le corps écailleux se terminait en une large formation osseuse cornue protégeant un énorme crâne. La bête portait en guise d'armure une simple mais monumentale plaque de métal dorée qui lui recouvrait le torse et le dos, raccrochée par-dessus les épaules par d'énormes chaînes. Tôlem estima que l'ensemble massif devait peser le poids d'un mulet. En plus de ses armes naturelles - des crocs saillants de sous ses babines squameuses et des pattes surpuissantes se terminant par de longues griffes recourbées - Gadr'k maniait une immense épée archaïque, fendoir taillé dans une roche noire luisante. Une large chaîne rattachait la poignée de l'arme au monstrueux bras écailleux de Gadr'k, de sorte pensa Tôlem, qu'il ne l'abandonne pas dans la mêlée sous l'effet de quelques instincts primitifs. En cet instant Tôlem ne l'avait encore jamais vu à l'œuvre, mais il se dit que Gadr'k méritait à n'en point douter son statut de Héraut du Carnage.


- Quelle effroyable puissance... murmura Tôlem, ne parvenant pas à détourner son regard du lézard. Nos ancêtres ont dû avoir fort à faire face à ses monstres...


- Gadr'k voudra être le premier dans la mêlée, reprit le borgne. Il n'a pas le choix. Il le doit s'il souhaite devenir un Dieu. Mais il n'est pas le seul à être important sur ce champ de bataille. Jette donc un œil derrière moi. Là-bas, du côté de la tente des commandants.


D'un rapide mouvement de tête, il désigna un jeune homme longiligne, à l'épaisse barbe noir tressée de pierreries chatoyantes, qui effectuait les cent pas non loin de la tente des commandants. L'homme ignorait complètement la valse des messagers qui s'afféraient autour de lui, comme plongé dans une profonde méditation. Tôlem remarqua que l'air qui l'enveloppait se faisait dense, presque palpable, semblable à ces vagues de chaleurs qui remontaient des pierres brulantes en pleine saison sèche. Du fluide. Le barbu irradiait d'une énergie si dense qu'elle en était visible.


- Idrisha. Reprit le vétéran. Tu viens de cette région, alors tu as dû déjà entendre ce nom pas vrai ? Idrisha l'Arcaniste de Seddis. Ne te fie pas à son apparence. Il a enfin daigné sortir de sa tour dans laquelle il s'était enfermé depuis plus de quarante ans pour nous prêter main forte. C'est un Aspirant et il entend se faire un nom aujourd'hui. L'occasion est trop belle pour qu'il la laisser passer. Avec lui à nos côtés, même les Magistères de Guerre ircaniens n'auront pas la moindre chance.


De nombreux messagers sortirent en trombe de la tente des commandants et coururent jusqu'à leur bataillon respectif.


- Les officiers s'agitent, l'assaut ne devrait plus tarder. Alors ouvre bien tes yeux pendant la bataille gamin, tu as la chance de vivre un jour historique !


Tôlem couru se vider les boyaux.



Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant