La vision p2

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- Je t'en conjure Sybille, redis-nous encore ce que tu as appris hier auprès de nos chers hôtes, les caravaniers. Demanda Nathaniel d'une voix plus sucrée encore que ne l'étaient ses petits doigts boudinés, affairés à décortiquer une énième pâtisserie au miel et aux amandes.


Assise à l'autre extrémité de la grande table, qui occupait l'essentiel d'un salon déjà encombré d'armoires et de bibliothèques pleines à craquer, la jeune femme lui adressa un sourire lasse de sa dentition parfaite et étincelante. Cela devait faire la quatrième fois qu'elle répétait au garçon le compte-rendu des réunions ayant eu lieu la veille entre son mentor -Maître Eloas de la Maison du Peuple- et les Sages du convoi. Pourtant, le gamin continuait de vouloir encore et encore écouter la même histoire, comme s'il allait enfin parvenir à percer quelques secrets dissimulés entre les mots.

Ce qui était l'une de ses plus grandes qualités aux yeux des Maîtres s'avérait être aussi un horripilant penchant. Lorsqu'un sujet retenait son attention, Nathaniel développait l'étrange capacité à y consacrer toute son énergie, jusqu'au limite de l'obsession. Cette particularité agaçait prodigieusement son entourage, mais elle faisait de lui, à tout juste dix-sept ans, un sérieux candidat au futur poste de Maître de la Maison des Découvertes.

Sybille le regarda engloutir un petit gâteau, tout en s'essuyant les doigts gluants de miel sur sa tunique émeraude trop ajustée. Elle avait immédiatement su apprécier ce gamin potelé et bavard, et ce, depuis leur première mission ensemble, deux ans auparavant. Il lui rappelait l'un de ses jeunes frères, Ribus, par son émerveillement permanent et sa façon de se dévouer corps et âme à chaque nouvelle lubie. Ils s'étaient revus en de nombreuses occasions après cette rencontre. Leur duo fonctionnait bien et les Maîtres leur avaient attribué de nouvelles tâches communes.

Elle soupira, et alors que Nathaniel plongeait sa main collante de miel dans la panière en osier remplie de pâtisseries, elle recommença ses explications. Pour la dernière fois, espérait-elle.


- Comme je te l'ai déjà dit, Minerba Cesse était une voyante. Comme celles que l'on croise dans toutes les villes de l'Empire, avec des talents en divination réels, mais pas de quoi faire d'elle une Oracle.

Un jour, sa mère se serait rendu compte de son don. Par hasard, comme souvent. C'était une marchande ambulante qui écumait les Cités Libres, déjà avec les caravaniers en son temps. Et elle a vite compris qu'il y aurait un paquet de pièces d'or à se faire, avec les nombreux marchands qui espèrent aussi faire fortune en suivant les convois.

Et depuis plus de quarante ans maintenant, elle suivait les caravaniers dans leurs voyages au quatre coins des Territoires Libres, puis de l'Empire.

Elle était connue et appréciée de tous. Je veux dire, même des caravaniers. Ce qui n'est pas peu dire. A force qu'elle suive tous leurs convois, ils avaient fini par lui proposer un petit emplacement dans l'un des chariots imprégnés de tête. Celui qui sert de marché ambulant, là où j'ai acheté ces gâteaux au miel dont tu te goinfre depuis tout à l'heure. Et une place dans un chariot, c'est un cadeau qui équivaut à une véritable fortune, quand on a pas la chance d'être magistères comme nous.

Concernant son travail, sa réputation était très bonne. Les marchands se pressaient pour recevoir ses prédictions et plus d'un a joué sa fortune sur ses talents.

Un des Sages qui avait eu affaire à ses services nous a expliqué comment son don fonctionnait. Très simplement. Elle touchait la personne en se focalisant sur l'objet de sa demande pour entrapercevoir une partie de son futur. Par exemple : « Sur qui parier ce soir, le grand costaud où le petit rapide ? », « Mon commerce va-t-il bien marcher quand j'arriverai à Irzinia la Dorée ? », « Mon vaurien de mari me trompe-il avec la charmante voisine ? » ...

Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant