Razhan l'Astucieux

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Le jeune homme remonta la large avenue ombragé au pas de course, se frayant un passage difficile au milieu de la foule tourbillonnante d'apprentis magistères et de carrioles de marchands chargées en babioles prétendument imprégnées. Avec plus de cinq milles étudiants magistères pour autant de personnels et de commerçants, la petite « Cité des Mages » comme l'appelait les habitants d'Ircania, grouillait d'une constante effervescence et ce, quelque fut l'heure du jour ou de la nuit.


Comme en toute saison, une chaleur étouffante et un vent sec en provenance du Désert des Murmures balayaient la cité malgré les nombreux jardins, écrasant de sa main brulante chaque être vivant et recouvrant tout d'une pellicule de sable poussiéreux. La ville d'Ircania, avant d'être la capitale d'un jeune empire conquérant, avait été en son temps la plus pauvre des Cités Libres. On la surnommait alors la « Porte du Désert », car elle représentait la dernière halte de civilisation à l'extrémité Est des Territoires Libres avant le désert implacable. Le Désert des Murmures formait une frontière naturelle quasi-infranchissable qu'aucun humain n'était parvenu à traverser. Seuls des tribus nomades de Gerbois se partageaient les sables avec les créatures du désert.

Pourtant, malgré cet environnement hostile à la vie, Ircania devait beaucoup au désert...


Vellin arriva enfin à la grande arche sculptée d'innombrables scènes à la gloire du passé, délimitant l'entrée du Quartier Est.

Bien plus habitué aux lectures interminables qu'à toutes formes d'activités physiques, le jeune homme ralentit l'allure afin de reprendre son souffle et entreprit d'éponger son front à l'aide d'une petite étoffe. Des gouttelettes de sueurs salées ruisselaient de sous son épaisse tignasse ébène et venaient goutter sur sa fine tunique cobalt en lin, lui collant la peau dans une désagréable sensation d'irritation. Il pénétra ensuite dans le magnifique jardin aux fleurs multicolores et aux multiples arbres fruitiers qui entourait le Palais des Rois.

Après huit années à habiter la Cités des Mages, l'apprenti magistère restait toujours subjugué par la prouesse technique qui avait rendu possible un lieu d'une telle beauté au pied du désert. Une série d'aqueducs massifs apportaient l'eau depuis les sources et les oasis alentours - certains se trouvant à plus d'une journée de marche de distance -, jusqu'aux nombreux canaux irrigant la ville et ses jardins. Des canalisations plus petites transportaient ensuite l'eau aux quartiers secondaires. Ils permettaient même d'évacuer une partie des déchets, ce qui avait grandement contribué à améliorer l'hygiène de la ville. Plus incroyable encore, d'énormes hélices en bois permettaient de monter les eaux aux étages supérieurs, si bien que de nombreux bâtiments possédaient leurs propres jardins d'arbres fruités suspendus.


Toutes ces prouesses - et bien d'autres -, avait permis au cloaque puant et poussiéreux qu'était Ircania de devenir la capitale d'un empire puissant et l'une des plus belles villes au monde en l'espace de quelques dizaines d'années. Et celui qui avait rendu tout cela possible faisait face à Vellin, une immense statue de bronze trônant au centre du jardin à son honneur.

Razhan l'Astucieux.


La statue restituait fidèlement les traits du gerbois, avec son museau fin aux longues moustaches, ses yeux sombres presque globuleux mais pourtant pétillant d'intelligence et ses grandes oreilles en paraboles. La robe qu'avait sculpté l'artiste empêchait de distinguer nettement les longues pattes à la musculature impressionnante et la queue caractéristique des gerbois. Bien que faisant généralement la taille d'un adolescent maigrelet, la vitesse des gerbois pouvaient égaler celle d'un cheval au galop et leurs capacités de sauts dépassaient la hauteur d'une habitation. Les Gerbois excellaient depuis toujours dans l'art de la fuite.


Comme tous les apprentis magistères, Vellin connaissait bien l'histoire de Razhan l'Astucieux, le non-humain devenu le membre le plus puissant de l'empire après la Reine.


Leurs origines dans le Désert des Murmures remontaient bien avant la fondation de la ville d'Ircania, peut-être même du temps des Anciennes Races, mais les sources uniquement oral demeuraient peu fiable. Les Gerbois était un peuple étrange, constitué de nombreuses petites tribus autonomes, vivants très simplement des quelques plantes qu'apportait le désert et plus rarement des fruits de la chasse. Eux seuls parvenaient à supporter les températures terribles du désert grâce à leur connaissances des points d'eaux et des multiples galeries serpentant sous les sables. Les premiers colons humains à s'être installés autour de l'oasis d'Ircane, qui deviendrait par la suite Ircania, n'entretenaient que peu de relation avec les Gerbois, se limitant à quelques échanges de ressources en pierreries et en cuir de reptile. Puis lorsque l'oasis gagna en importance et devint la Cité Libre d'Ircania, un agglomérat de huttes pauvres et poussiéreuses luttant constamment contre la soif et la faim, les relations avec les Gerbois se durcirent. Des raides contraignirent les autochtones à fuir toujours plus loin dans les sables et à abandonner leurs oasis. Les Gerbois capturés devenaient des esclaves.

Razhan avait été l'un d'eux, près de quatre-vingt-dix ans plus tôt.


Mais il avait alors su montrer à la Reine son incroyable potentiel...



Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant