Le Voyageur p3

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Si la pluie avait cessé, l'humidité suintante et son insupportable moiteur sur la peau semblaient ne plus jamais devoir abandonner le convoi.

La chaîne montagneuse avait laissé place à une interminable lande marécageuse, au sol irrégulier, bosselé et gorgé d'eau trouble, sur lequel poussaient des touffes d'herbes basses aux teintes jaunâtres et quelques arbustes tordus. Les chariots suivaient l'unique piste digne de ce nom capable de les accueillir, une simple bande de terre sombre et plane, qui sinuait entre les bosquets épineux et les arbres rachitiques.

Vellin marchait aux côtés de Nathaniel le long de la piste accidentée, à proximité du chariot-auberge, dans la lumière diffuse du soleil matinal couvert de lourds nuages noirs. Pour les jeunes magistères qui n'avaient connu qu'Ircania ou presque, la découverte de nouveaux biomes restait encore des moments d'étonnement, quel que soit la nature du paysage. Vellin avait fini par apprécier sa longue cape de fourrure -malgré l'odeur- et sa tunique en laine doublée de cuir, bien commode de par la fraîcheur qui s'installait à mesure que le convoi progressait en direction du nord. Les vêtements offraient également une protection bienvenue contre les essaims d'insectes piqueurs qui voletaient frénétiquement autour d'eux, prêt à se jeter sur la moindre parcelle de peau à nu.

D'un énième geste de main agacé, Vellin repoussa les assauts féroces d'un nouveau moustique importun. Les diptères semblaient le considérer comme un met de choix et se massaient autour de son visage exposé, dans un concert assourdissant de vrombissement.

Nathaniel, lui, était curieusement épargné par ce harcèlement horripilant.

- Je t'en supplie Nathaniel, rentrons maintenant ! Nous avons bien assez vu cette plaine décrépie pour ce matin ! Je vais devenir fou si je dois encore lutter contre ces saletés volantes !

Le gamin regarda son ami d'un air amusé. Il caressa ses joues rebondies et lisses, vierges de toutes piqûres.

- Je t'avais pourtant prévenu ! Quelques gouttes de ma potion et tu aurais été toi aussi en paix pour la journée.

- Au Néant toi et ta potion nauséabonde ! Je refuse de me verser de la pisse de bérulf sur le visage !

- Urine de bérulf et décoction de prérule, nuance. Pour un résultat garanti contre les insectes. Tous les caravaniers et même les plus jeunes connaissent ce secret de voyage, que j'ai bien voulu te partager dans mon inconditionnelle bonté. Mais tu as été une fois de plus trop buté pour appliquer mon conseil. Maintenant tu en mesures les douloureuses conséquences... Et estimes-toi heureux si tu échappes à la Fièvre des Marais...

- Gnagnagna... la fièvre des marais...

Excédé, Vellin tapa furieusement dans une pierre qui partit rouler jusqu'à une large flaque noirâtre qui bordait la route. La pierre disparut en un plouf bruyant. Une série de remous suivit son intrusion.

- Tu devrais également ne pas t'approcher trop près du bord, reprit Nathaniel de son ton professoral qui énervait tant Vellin.

- Ces marais sont connus pour leurs populations de Lamproses. Certains de ces trous d'eau sont bien plus profond qu'ils n'y paraissent, et on raconte qu'il existe des lamproses assez grandes pour avaler un cheval.

Vellin bondit en arrière et vint rejoindre le milieu du chemin. Les lamproses étaient des sortes d'énormes vers à la gueule dépourvue de mâchoire mais garnies de plusieurs rangées de petites dents acérées, qui venaient se fixer à leur proie avant de la vampiriser. Tous les scientifiques connaissaient bien cet animal car les fluides des lamproses servaient dans de nombreuses préparations médicales ou alchimiques. Si la plupart des individus faisaient guère plus d'un mètre, les rumeurs parlaient effectivement de lamproses imprégnées aux proportions terrifiantes. Ainsi, les Landes de la Dura servaient de terrain de jeu privilégié pour les chasseurs de lamprose, qui alimentaient tout l'empire.

Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant