Les Jumeaux écarlates

22 6 12
                                    

L'impact sourd d'un coup d'épaule asséné entre ses omoplates mit brutalement fin aux rêveries de Vellin.

Le retour à la réalité s'avéra douloureux. Il toussa, cracha, déglutissant avec difficulté comme un noyé jeté hors de l'eau, et une horrible migraine vint lui barrer les yeux dans une explosion de couleurs vives. La communion symbiotique avait pris fin sous l'effet du choc et il reprenait ses esprits avec la rudesse d'une mauvaise gueule de bois.

Lorsque sa vision se fit enfin plus nette, Vellin tournoya à la recherche du sans-gêne qui l'avait bousculé mais il ne vit rien. L'individu avait déjà dû disparaître dans la foule. Puis, toujours hébété par l'événement qu'il venait de vivre, Vellin contempla la marée humaine en pleine transe.

Quelle sensation incroyable, quelle ivresse délicieuse... La puissance peut donc devenir à ce point addictive... Je comprends mieux comment le Culte de l'Unique parvient à réunir autant d'adeptes. Ainsi que la réticence de notre Reine. Entre de mauvaises mains le Culte peut devenir un vrai contre-pouvoir au royaume.

La vénération. L'addition des forces. Le vrai pouvoir d'un dieu. Est-ce de cela que rêve la Reine Semira ?

Maître Lunepâle, misère ! Le temps tourne et je reste là à rêvasser !

Réussir à s'extirper du troupeau en méditation léthargique ne fut pas une mince affaire.

Après une vaine tentative à se frayer un passage, Vellin comprit qu'il devait se trouver un autre itinéraire pour rejoindre la basse-ville. Les accès menant à l'avenue principale étaient tous obstrués et la cérémonie ne semblait pas devoir prendre fin.

Vellin finit par repérer une ruelle étroite qui paraissait serpenter en parallèle de la voie principale jusqu'aux quartiers marchands. Il quitta la grande place en glissant un dernier coup d'œil à la célébration. Le temps d'un battement, son regard croisa celui de l'Apôtre Gladrime, qui lui laissa l'impression glaçante d'être transpercé de part en part par une froide lame.

Une épaisse couche de terre poussiéreuse jonchée de détritus maculait la ruelle, jusqu'à recouvrir entièrement les anciens pavés. Vellin éprouva toutes les difficultés à ne pas souiller ses chausses dans les ordures dégoutantes, qu'elles fussent fraîches ou séchées. De toute évidence, cette route annexe devait davantage servir de voie d'évacuation que de passage.

Aucun habitant respectable ne serait assez pressé pour oser l'emprunter.

Les sons et les odeurs caractéristiques de l'effervescence de la basse-ville commençaient enfin à lui parvenir, lorsque Vellin déboucha sur une placette encadrée d'immeubles d'habitations. Un arbre tordu, sûrement aussi ancien que la ville elle-même, se dressait en son centre et projetait la fraîcheur de son ombre sur les pavés usés.

Deux silhouettes vêtus de tuniques pourpres, l'une calme et assise sur un banc, l'autre debout et aux aguets, attendaient au pied des racines et scrutaient l'entrée de la ruelle.

Vellin stoppa sa marche, les reconnaissant aussitôt.

Atossa et Cyrus dit les "Jumeaux écarlates", cousins du Roi Darius et disciples du cruel Maître Abthonas.

Cyrus qui était déjà debout, s'avança d'un pas. Du même âge que Vellin, le jeune homme avait déjà un physique imposant, bâti pour le combat physique, son domaine de prédilection. Son visage large à la mâchoire carrée recouverte d'une épaisse barbe noire taillée en pointe, ainsi que son nez aquilin et ses sombres yeux perçant, rappelaient à tous la présence du sang royal coulant dans ses veines. Une tignasse dense de cheveux plus noir que la nuit lui entourait la tête, à la manière d'une crinière de fauve.

Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant