Celui qui rêve sous la montagne

Le Voyageur p4

R'el éclata d'un rire franc devant la surprise manifeste des deux garçons.

- Biggy est un compagnon aux nombreux talents. Il parle, oui. Une des conséquences de son imprégnation.

Nathaniel sortit l'un des gâteaux secs qu'il tenait caché dans sa poche et qui n'avait pu échapper à l'odorat du chien. Il le cassa en deux, en tendit une moitié à Biggy et croqua dans la deuxième. Le chien happa sa part sans hésiter l'ombre d'une seconde.

- Je vois que tu fais preuve d'appétit, lui dit-il doucement. Je rêverais d'avoir un compagnon comme toi.

L'animal ne fit aucune réponse, continuant de flairer son interlocuteur.

- Ne te formalise pas de ses silences, intervint R'el, en voyant l'air déçu du garçon.

Les codes en vigueur des conversations humaines restent pour lui abstraits. Il finira par te répondre si l'envie lui en prend, et à ce moment-là, crois-moi, tu regretteras qu'il ne se taise pas un peu plus.

Nathaniel partagea un dernier gâteau puis se redressa. L'attention de Biggy se porta sur un bouse de bérulf à l'odeur particulièrement infecte qui maculait la route après le passage d'un chariot. L'apprenti blêmi à l'idée qu'il en dévore un morceau.

Constatant que la conversation se déroulait bien, Vellin rassembla son courage et fit un pas en avant. Il prit la parole, d'abord hésitant.

- Et que faites-vous ici, à bord de ce convoi, messire Voyageur ? Si je puis me permettre, vous n'avez pas l'air d'être un marchand en quête de fortune, et les Terres Sauvages ne constituent que rarement un lieu de villégiature privilégié...

- En voilà un jeune homme bien curieux, répondit R'el en plissant des yeux.

- Non mais... c'est que... balbutia Vellin, qui réalisait toute la maladresse de sa question.

R'el leva la main en geste d'apaisement et s'empressa de dissiper le malaise qui gagnait le garçon.

- Ce n'est rien. Ta question est légitime, d'autant que vous représentez l'ordre dans cette caravane, tes amis et toi.

Alors je ne te mentirais pas. Je suis ici pour les mêmes raisons que toi, magistère.

La réponse foudroya Vellin.

Nathaniel arrêta d'observer le chien en pleine écoeurante dégustation et braqua son regard sur R'el, attentif à ce qui allait suivre. Une tension flotta insidieusement dans l'air humide du marécage, Vellin recula d'un pas.

- Allons, poursuivit le Voyageur, je ne suis pas dupe. Que viendrait faire une délégation entière de magistères aussi loin du cœur de l'empire, en ces temps troublés ?

Son visage avait pris des traits sérieux mais il n'exprimait aucune animosité apparente.

- La sombre puissance sommeille depuis bien trop longtemps dans les terres du nord et l'heure de son réveil approche. Il est sage que la Reine ait enfin pris conscience de la menace à venir.

- Comment pouvez-vous savoir... laissa échapper Vellin, le souffle coupé par la révélation.

Il plaqua ses mains sur sa bouche quand il se rendit compte de ce qu'il venait d'échapper.

- Ce monde change, continua R'el en fixant durement le garçon en proie à la panique.

Les érudits le constatent chaque jour à travers leurs expériences complexes, les historiens notent les récurrences écrites depuis l'aube de l'Homme, les oracles de tous les Territoires observent les signes et les prophéties, mais les êtres vivants, ceux qui comme vous et moi sont sensibles au fluide, nous le ressentons ! Du plus profond de nos tripes, chacune de nos fibres goûtent à cette sensation nouvelle, à cette force qui éclot, à ces vaguelettes de puissances qui affluent...