La chute des Héros p5

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Le retentissement puissant de plusieurs cors de guerre tira brusquement Tôlem de ses rêveries et son estomac se tordit à nouveau de douloureuses contractions.

- Tiens-toi prêt gamin, grommela Teguern la main posée en visière devant ses yeux. Je crois que cette fois, c'est l'heure. Regarde, ils avancent.

Situé à environ mille cinq-cents pas droit devant eux, sur la crête d'un plateau bordant la plaine d'inondation de l'Altarie, les étendards Ircaniens venaient de percer la ligne d'horizon et avançaient d'un rythme résolu au son des tambours de guerre.

L'armée ennemie qui venait d'apparaître semblait presque dérisoire en comparaison des innombrables forces des Cités Libres Unies, et comptait au bas mot trois fois moins de soldats.

L'essentiel des troupes Ircaniènes, environ quinze milles combattants, constituait une infanterie d'élite lourdement équipée - appelée Myrmhides du nom d'un insecte cuirassé local -, qui avançaient en quatre bataillons serrés à l'avant de la ligne de front.

Tôlem observa que les premières lignes étaient armées de longues lances, qu'il imagina destinées à casser les éventuelles charges. Des troupes légères de tirailleurs disparates protégeaient les flancs de la formation lourde centrale. Une importante unité d'environ deux-milles cavaliers caparaçonnés avançaient en retrait sur le côté droit.

Tôlem ne vit aucun des fameux chars à faux dont on lui avait tant parlé ces deux derniers jours, ni même d'unités d'archers. Une fois de plus l'armée Ircaniène semblait jouer la carte de la surprise au travers d'une formation tactique inédite.

Cette observation paraissait troubler profondément Teguern qui se dandinait d'une jambe sur l'autre en proie à une nervosité inhabituelle. Tôlem nota qu'il ne devait pas être le seul surpris, à en juger par l'important ballet de messagers qui galopaient entre les différents régiments jusqu'à la tente de commandement.

Lorsque les Myrmhides furent descendus à mi-hauteur du plateau, une nouvelle unité apparut au niveau de la ligne de crête.

Il s'agissait d'une cinquantaine de curieux assemblages bâchés, sorte de larges chariots, chacun tiré par deux bœufs et accompagnés par une demi-douzaine d'hommes. Marchait aux côtés de cette drôle de procession un petit groupe d'une douzaine d'hommes et de femmes clairement identifiables par leurs tenues pourpres, les Magistères de la Maison du Combat.

- Je n'aime pas ça gamin, finit par lâcher Teguern. On dirait que Razhan nous prépare encore une de ses surprises. Fais attention à toi.

La bataille débuta lorsque les premiers rangs de l'infanterie lourde Ircaniène atteignit le lit presque à sec de la rivière Altarie.

Parvenue à distance de flèches des redoutables archers à arcs longs de la Cité de Bodden, une pluie de projectiles meurtriers s'éleva haut dans le ciel avant de retomber dans un sifflement strident sur les hommes en armures.

Seule une poignée de soldats s'écroula face à la nuée de projectiles sifflants.

Restés en retrait du front, au niveau des chariots bâchés, les Magistères canalisaient des vagues de fluide qu'ils façonnaient ensuite en de formidables boucliers protecteurs d'énergies entrelacées qui crépitaient à une hauteur d'une lance au-dessus des têtes casquées.

Les tirs de Scorpions-Dardeurs n'eurent à peine plus d'effet, à la fois peu précis et se heurtant eux aussi aux vagues protectrices.

L'engin dont s'occupaient Tôlem et Teguern rata ses cibles à trois reprises, crachant ses carreaux par deux fois trop court et le troisième à quelques mètres d'un groupe de tirailleurs. Devant l'inefficacité de la manœuvre, les officiers firent stopper les tirs.

Les Cités Libres devraient passer par le corps à corps pour espérer arrêter l'avancée ennemi.

Sur le flanc gauche des magistères, les drôles de chariots s'arrêtèrent sur une longue bande de terre plane légèrement surélevée au pied du plateau, à environ deux cents pas du lit de la rivière. Les hommes détachèrent les bœufs puis s'affairèrent à caler les roues ainsi qu'à retirer les bâches des chariots. Les chariots déjà mis à nu portaient de curieux engins, sorte de long tubes métalliques de presque deux fois la taille d'un homme et large comme le tronc d'un vieux chêne.

De là où il se trouvait, à presque mille pas des chariots, les tubes creux rappelèrent à Tôlem la gueule béante et édentée de ces affreux vers géant qui ravageaient parfois les cultures des champs.

Un moment de flottement suivit la fin de la pluie de flèches, durant lequel les forces Ircaniènes continuèrent d'avancer sans opposition, se frayant un chemin difficile dans le limon gras et glissant du lit de la rivière.

Les premiers rangs atteignaient la berge, avançant au milieu des roseaux, lorsque les cors de guerres des Hoplites d'Uguria retentirent, aussitôt suivi par ceux des Légions Noirs en provenance de Lindorn.

Les deux bataillons d'infanteries les plus importants de toutes les forces des Cités Libres, presque vingt mille hommes réunis, se mirent en marche sous les regards étonnés des escouades voisines.


Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant